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FRANKÉTIENNE ou les lieux de la spirale

Saint-John Kauss

Frankétienne (Franck ÉTIENNE, dit), né à Saint-Marc (Haïti) le 12 avril 1936. Il a enseigné les mathématiques et la littérature dans son propre établissement scolaire établi à Port-au-Prince.

Poète, romancier et dramaturge, on peut noter de lui près de cinquante ouvrages déjà parus, entre autres: Chevaux de l’avant-jour (1966), Mûr à crever (1968), Ultravocal (1972), Dézafi (1975), Troufoban (1978), Pèlen tèt (1978), Les affres d’un défi (1979), Bobomasouri (1984), Kaselezo (1985), Fleurs d’insomnie (1986), L’oiseau schizophone (1993), H’Éros-chimères (2002) ainsi que Les métamorphoses de l’oiseau schizophone (1996-1997, en huit volumes).

Frankétienne a fondé en 1965 avec René Philoctète et Jean-Claude Fignolé l’école littéraire, Le Spiralisme. Il est également musicien, peintre et hougan.

ULTRAVOCAL
    (fragment)

Autour de l’île les fifres du vent
La mer et ses remparts de sel.
Autour de nos têtes cendres et fumée
Les mauvaises bêtes chues dans le silence
La tempête sa perruque échevelée.
Bruissement matière à suspicion
Les papillons affolés à nos gorges frétillent
Bavardage d’ailes et d’antennes.
L’université des eaux désordonnées
Contestation des pluies de mai
Main mon amour jaillissement de torrent.
Les étoiles bues dans tes yeux
Bassines mes lacs à fond perdu.
La mer piégée aux détroits
Parfaite imitation de tes hanches.
La guêpe maçonne
Bourdonne
Au plafond blanc.
Les abeilles sont parties à l’aube
Plusieurs d’entre elles ne reviendront pas.
Sommes-nous condamnés à finir comme des personnages de
Théâtre et de cinéma, déchirés par nos passions?
Ah la posthume compréhension des amants!
Et voici revenue pour moi la chance de parler
De ne rien garder derrière mes dents

 

 

De hurler s’il le faudra.
Ma voix tourbillon de mots
Ma voix dépelotonnée à jamais
Ma voix toute ma voix
Poil à gratter
Dehors dedans à travers au-delà
Pleinement
Infiniment

                        (Ultravocal)

 

 

Tout homme est comme une île enfermée dans sa douleur, ses désirs profonds et ses illusions. Il n’y a que des passerelles, des ponts et des connexions (miraculeuses et mystérieuses comme l’affection, l’amour, le sentiment de solidarité, la sympathie active) qui nous relient aux autres en nous permettant de communiquer, de communier avec les autres.

Ainsi, seule la lumière de la conscience solidaire et généreuse nous aide à rencontrer les autres. Je suis une île enfermée dans cette foutue chambre personnelle, vivant une forme tragique de solitude schizophrénique, une sorte d`exil intérieur qui pourtant ne m`a pas empêché de rencontrer les autres.

                                                  Solitaire / Solidaire
                                                        Je demeure!

                                                                                                                           

(…)

Dieu a besoin de moi
pour la manifestation éclatante
de sa puissance infinie et de sa gloire immense éternelle.

Ainsi je deviens moi-même
Dieu en partie et en totalité.

1+1= INFINI

Alors je marche contre la Mort
et  j’efface le Néant.

 

 

(…)

Génial mégalomane
ou singe mégalomane
je le dis souvent de moi-même
pour agacer mes frères trop jaloux
qui n’ont aucun sens de l’ironie exorcisante
et de l’auto-dérision.
       J’apprends
       je désapprends.
       Rien n’est absolu
       et tout est relatif.
                       
                                    (Anthologie secrète)
 

 

Pourquoi avoir peur du chaos?

Toute vie est chaotique. L’Univers est chaotique. Mais, il s’agit d’un chaos fonctionnel dont les structures fondamentales en perpétuel mouvement nous échappent à cause de tous nos déficits intellectuels, mentaux, organiques, biologiques, psychiques et spirituels. Le chaos c’est la vie, dans son infinie diversité combinatoire exponentielle.

Seule la mort n’est pas chaotique parce qu’elle est plate, monotone, uniforme, insipide et sans relief ni densité.

 

(…)

La spirale ne peut pas être définie comme un système d’écriture conditionné par des critères rigoureusement établis. L’esthétique de la spirale implique l’imprévisibilité, l’inattendu, l’ambiguïté, les extrapolations, le hasard, les structures chaotiques, la dimension nocturne à la limite de l’opacité et le parcours labyrinthique. La spirale est un approfondissement de la dialectique, à travers un  dépassement de la pseudo-différence entre la matière et l’esprit,  qui se rejoignent, s’interpénètrent et se confondent dans la mise en forme de l’énergie sous des aspects infiniment variés. La spirale représente paradoxalement l’œuvre à la fois globale et éclatée, totale et fragmentée, ouverte et vertigineuse.

                           (Anthologie secrète)

 

  • FRANKÉTIENNE (Franck ÉTIENNE, dit):  Chevaux de l’avant-jour, Impr. Serge L. Gaston, Port-au-Prince, 1966; Ultravocal, Impr. Serge L. Gaston, Port-au-Prince, 1972; Hoebeke, Paris, 2004; Dézafi, Atelier Fardin, Port-au-Prince, 1975; Vents d’ailleurs, Paris, 2002; Fleurs d’insomnie, Impr. Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1986; L’Oiseau schizophone, Des Antilles, Port-au-Prince, 1993;  Jean-Michel Place, Paris, 1998; Voix marassas, [sans nom d’édition], Port-au-Prince, 1998; H’éros-Chimères, [sans nom d’édition], Port-au-Prince, 2002; Anthologie secrète, Mémoire d’encrier, Montréal, 2005; Les métamorphoses de l’Oiseau schizophone, Vents d’ailleurs, Paris, 2004-2006.

 

Viré monté