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Saint-John Kauss: Deux Recueils
Pour Dire Le Cœur Battant Du Poème

par Jean André Constant

Juillet 2007

Hautes Feuilles
Hautes Feuilles, Saint-John Kauss • Éd. Humanitas Montréal • 2007 • ISBN 978-2-89396-281-8 • 14,95$
Le Manuscrit Du Dégel et Hautes feuilles, les deux derniers recueils du poète haïtien Saint-John Kauss, prennent corps dans une parole haute de forme qui participe d’une même poétique: l’enchevêtrement des registres et des discours, une constante cohabitation de la musicalité et du sens, et une tendance au sursaut magistral dans les différentes modalités d’énonciation.   

Dans les deux recueils, Kauss déclenche son propos par l’approximation, des clauses de prudence (malgré ce silence où tu danses…/peut-être que je saurai …) qui servent d’exorde à l’extension de sa voix subjective pour s’assumer avec plus de ferveur dans le corps du texte. Celui-ci se déroule dans une chaîne phono-sémantique qui en assure la densité musicale tout en collant à la recherche du sens. Double jeu de son et de sens. Double jeu d’images et de représentation. La répétition des phonèmes et lexèmes, l’emploi mesuré des allitérations et des assonances, en plus de la disposition typographique qui assure des cassures et des pauses dans la lecture, n’empiètent en rien sur la construction du sens. Ce dernier est mis en œuvre par des soubresauts dans l’énonciation, permettant à l’auteur de jongler avec les différentes fonctions du langage. Sa technique consiste à faire varier l’énonciation sans transition du «je» qui dit «la faim, la liberté, la quérulence des appels à la fraternité» à  l’allocutaire (tu, vous) voix féminine, parfois chair ardente ou figure iconoclaste dont l’amour où l’amitié s’étend sur un humanisme persien, et d’autres fois métaphore et prétexte pour parler de l’autre à la troisième personne, (description et narration), de ses îles d’appartenance ou d’ancrage, (Montréal ou Haïti), sous forme de rêves et d’amour dans leurs versions de joie et de douleur. Dans le poème Ma terre sienne de terre brûlée, Montréal se dit dans une perspective d’exil, d’un rêve emprunté et paradoxalement  rapproché de Paris, ville fétiche (par procuration ou rêve d’un héritier de la colonisation?):

et voici que soudain je rêve…./ Montréal ma ville qui porte le nom d’aimer…/
 rampe des exilés et de l’exil qui fait si mal …../ Petit Paris aux yeux  d’hiver et à l’haleine des fleurs (Le manuscrit du dégel p 37-57)

Haïti par contre, se dit sans ambages, comme possession réelle, de nostalgie, de manque. Elle est tantôt femme, tantôt  terre enclavée dans l’Archipel des Antilles:

je  parle d’une île impaire abandonnée comme
une honte/ je parle de ma terre et plus qu’un simple/
murmure entouré d’oiseaux/ et de chants sauvages. (Le Manuscrit du dégel p 22)

La poésie de Kauss procède par une langue réinventée consistant en sa propre organisation spatiale et syntaxique, de constantes anastrophes et tropes au sens bouleversant, et l’alternance surprenante des  modalités d’énonciations passant d’une simple assertion à de longs vers impliquant des relations circonstancielles (temps, lieu, manière, clauses) qui s’articulent dans un territoire parfois cascadé, parfois allégé d’images enchanteresses.

tu es la feuille lointaine invitée au rendez-vous
le grand livre ouvert sur les sables
comme un coquillage
mes attentes si belles qui ne sont ni mâles ni femelles (Hautes Feuilles p.112).

Sur le plan thématique, Kauss exalte et plaint la vie et tous ses assaisonnements de larmes capitales, d’amours dans le brouillard du doute et des incises, de la femme et de sa chair imparfaite, des mains tendues et des cœurs ouverts, de la Terre et ses poètes, en tant que sujet et objet de ses chants et lamentos.

L’écriture de Kauss digne d’un vigile contient aussi des procédés qui nuisent à la littérarité de certains poèmes. On y trouve des clichés et énoncés prosaïques du genre:

je pense à la femme croate qui n’a pas assez de nourriture…/Passe ton doigt sur ton front pour voir les  rides et les méfaits du désespoir (Le manuscrit du dégel p. 24-27 puis p. 68-69.)

A cela s’ajoutent des envolées qui tiennent par l’abus des embrayeurs et jonctions qui alourdissent le rythme et coupent le souffle de certains textes (exemple dans Hautes Feuilles p.109).  Mais dans l’ensemble, l’intensité des émotions, la variation du ton et de la thématique, les effets musicaux, la pertinence des images et des figures, l’originalité du propos, la réinvention du langage chez Kauss frappent  et accrochent le lecteur. Les deux recueils contiennent des  poèmes au cœur battant dans un univers où les mots dictés à la terre entière servent à (r) écrire la vie, tant Kauss sème son sonnet nécessaire à la grande muraille de l’homme.

Jean André Constant
31 Juillet, 2007

Le Manuscrit du dégel Le Manuscrit du dégel
Le Manuscrit du dégel • Illustration de couverture par Guerdy Préval •
Éd. Humanitas, Canada • Mai 2006 • ISBN 2-89396-274-2

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