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Femmes en Guadeloupe: sursis ou légitime défense?

Patricia BRAFLAN-TROBO
Sociologue

Est-ce la question que les femmes guadeloupéennes qui quittent un homme ou qui disent "NON" devront désormais obligatoirement se poser?

Après 4 meurtres de femmes en 3 mois il me semble que désormais une femme qui en Guadeloupe dit "NON" et/ou qui quitte un homme est dans deux situations: 1) en sursis car elle quasiment sûre d'être tuée, 2) en état de légitime défense car se prémunissant déjà contre une agression qu'elle est quasiment sûre de subir.

La société guadeloupéenne a beaucoup évolué. Elle est entrée dans toutes les modernités mais en gardant comme boulets certains archaïsmes, particulièrement au sujet des femmes et des filles. Archaïsmes relatifs au aux rôles que ces femmes et filles doivent jouer ou ne pas jouer, des tenues qui sont jugées dignes ou indignes d'elles, des postures qu'elles doivent avoir ou ne pas avoir, des choix de vie privée qu'elles peuvent faire ou ne pas faire et qui seraient moralement condamnables ou pas. Quand on voit la facilité avec laquelle certains se transforment en juge sur la vie des femmes ou des filles qui serait immorale selon eux, on peut se demander à quand un jugement identique sur les hommes, sur la moralité ou l'immoralité de leur mode de vie. Il est bien connu qu'un homme qui multiplie les conquêtes est un "Dom Juan" et qu'une femme qui multiplie les conquêtes est une salope.

Il n'est pas rare d'entendre des hommes dont certains assez jeunes d'ailleurs, tenir des propos du type "elles ne se respectent pas", "madanm alè paka rèspèkté yo (les femmes de maintenant ne se respectent pas)", "fo on madanm tchenn plas ay (il faut que les femmes restent à leur place " ou mieux encore, dit en chanson comme on l'a vu récemment "tchen tchouw dwèt" à une jeune fille de 16 ans …..Autant de prescriptions qui tombent sur les femmes et les filles alors que dans le même temps aucune prescription pour les hommes, aucune contrainte, aucune norme, aucun rappel de la norme aucun cadrage ou recadrage au grand jour, officiel.

Avec les évolutions de la société, dans le couple ou hors du couple, les femmes travaillent, ont un salaire, paient des factures, font tourner la maison et pourtant certains les considèrent encore comme des personnes de statut inférieur à dominer, à dompter et à plier à leurs désirs. A tous leurs désirs.

Les femmes en Guadeloupe qui occupaient déjà du fait de l'histoire de ce pays un rôle majeur, ont, avec la modernité développé autonomie, ambitions personnelles, indépendance et n'hésitent pas à faire les sacrifices qui s'imposent pour mettre en œuvre les moyens de leur réalisation personnelle. Elles n'hésitent pas non plus comme elles sont si nombreuses à le dire à préférer "être seules que mal accompagnées" et à se débarrasser sans perdre de temps de celui que serait le "mal-accompagnant".

Certains hommes qui veulent des femmes libres, indépendantes (avec voitures, appartement, salaire…), libérées sexuellement, sont incapables de se faire à l'idée que ces femmes sont libres, indépendantes et libérées en tout. Particulièrement dans leur capacité à choisir et à ne pas subir.

Certains hommes acceptent de rentrer dans des relations que nous pourrons qualifier d'économico-amoureuses avec des femmes qui, en échange de diverses contreparties financières, leur procure le bon temps et le libertinage auxquels ils aspirent. Dans ce type de relation entre adultes consentants, les deux y trouvent leur compte eu début.

Quand les choses se gâtent et que c'est la femme qui décide de la fin de la relation, naturellement, les qualificatifs de "femmes intéressées", de "femmes n'aimant que l'argent" pleuvent. Ces femmes deviennent donc des femmes à châtier voire à punir et à faire payer. Leur décision de mettre un terme à la relation relevant de la légèreté voire de l'ingratitude vis-à-vis d'un bienfaiteur….

Quand dans ce type de relation, le même homme rencontre une femme plus jeune et/ou satisfaisant encore plus ses fantasmes et met un terme à la précédente relation, les commentaires sont du type "misié enmé fanm" (cet homme aime les femmes) ou encore "ou dégaré on jennès" (tu as "dégaré" (par analogie avec la voiture) une jeune femme)

Depuis une vingtaine d'années les femmes se donnent le CHOIX et prennent toute la liberté du CHOIX. Privilège longtemps réservé aux hommes. Le choix de la relation et de toutes ses modalités: financières, sentimentales, sexuelles, lieux, durée, qualité,….Le choix de ses combats, de ses modes de vie, des voies de son épanouissement…

Beaucoup d'hommes sont absolument dépassés par cette évolution des femmes. Beaucoup de ces hommes sont encore dans la représentation de l'homme fort, macho, un "ti mal" qui quitte, abandonne, rejette, méprise mais que l'on ne quitte pas, l'on n'abandonne pas, l'on ne méprise pas. Beaucoup de ces hommes qui sont souvent des coureurs de jupons, des bourreaux des cœurs sont incapables d'accepter la frustration du refus ou du rejet qu'ils vivent comme une humiliation personnelle dont il faut se venger en infligeant à l'auteure de leur douleur une douleur encore plus forte et qui est souvent la mort.

Nombreux sont les hommes qui se gargarisent de phrases du type "sé san ki ka koulé an venn an mwen (c'est du sang que j'ai dans les veines" pour justifier leurs infidélités ou encore "mé nou pli fèb ki zôt (nous sommes plus faibles que vous (les femmes))" que la norme devient alors une sorte de faiblesse qui justifierait tous les laxismes chez les hommes jusqu'au crime dit passionnel. Ce d'autant que les femmes sont sommées dans le même temps d'être rationnelles, équilibrées, tempérées, et de garder le cap de toute la société.

Certains hommes devront donc apprendre à appréhender les évolutions de notre société et devront apprendre à composer avec elles.

Dépassant les problèmes liés à l'éducation, à l'histoire personnelle, à l'immaturité, à l'intolérance à la frustration qui empêchent certains hommes d'admettre que leur femme, leur compagne, leur amie n'est pas leur chose, leur propriété, comment comprendre l'inertie et la passivité des autorités vis-à-vis de cette situation de danger que vivent les femmes en Guadeloupe?

Comment comprendre l'absence ou le si peu de réaction des élues -us qui laissent passer ces crimes comme des faits divers ordinaires et qui ne s'en saisissent pas pour en faire une grande cause "nationale Guadeloupe"?

Face à la question "sursis ou légitime défense?" quel être humain ne va pas choisir la légitime défense?

Devrons-nous en arriver en Guadeloupe au point où les femmes devront se faire police elle-même pour être sûre de ne pas y laisser leur vie?

Afin de ne pas arriver à cette extrémité, un sursaut s'impose. Certains de nos hommes, de nos jeunes doivent être accompagnés dans l'appréhension de ces questions et doivent comprendre que l'égalité homme femme est une réalité quotidienne de leur vie et qui s'impose à eux. Egalité pour voter, travailler, payer des factures, acheter sa voiture, payer le restaurant mais aussi égalité dans la capacité à disposer LIBREMENT de son corps.

Afin de faire passer ce message, nous avons besoin de tous. Des hommes qui doivent parler aux hommes, des femmes, des mères, des sœurs, des artistes, musiciens, chanteurs qui parlent la langue du peuple, des femmes et hommes de théâtre, …toute personne capable de comprendre que dans une société si les femmes se sentent en danger avec les hommes c'est assurément que toute la société est en grand danger. Car face à un danger, la légitime défense prendra nécessairement le pas sur le sursis. C'est un choix que ni femmes ni hommes de Guadeloupe ne devraient avoir à faire.

Patricia BRAFLAN-TROBO
Sociologue
http://patriciabraflantrobo.blogspot.fr/
21 Novembre 2012

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