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Contre-offensive (2)

Par Banbiyo
le mercredi 1 avril 2009, 23:51 - LKP

L'agriculture de plantation implique classiquement d'une part l'intervention de promoteurs étrangers, la population locale ne participant ni à la conception ni à la conduite de l'exploitation, d'autre part des cultures faites en fonction des besoins du marché d'un ou plusieurs pays dominants. - Encyclopaedia Universalis.

Il est courant d’entendre reprocher aux Antillais des miettes de l’Empire français de ne pas être capables de tourner la page de l’esclavage, de la ségrégation et de la colonisation – tous phénomènes socio-historiques totalement dépassés depuis la parfaite et si harmonieuse départementalisation de mars 1946! De ne pas savoir faire autre chose que de sans cesse ressasser les mêmes récriminations sur un passé qui n’arriverait pas à passer par leur seule incapacité à se projeter vers cet avenir radieux qui ne dépendrait soi-disant que d’eux (ça rappelle un peu le discours de Dakar de Pathé-Sarkozy “la voix de ses maîtres” sur “l’homme africain qui n’est pas rentré dans l’Histoire”, non?).

À entendre ce qui se dit et ce qui se trame depuis le début de l’insurrection pacifique de janvier-mars 2009 et les avancées sociales et politiques obtenues par le LKP, j’ai pourtant la furieuse impression que l’Histoire n’est toujours que le même sempiternel refrain et que les tenants du maintien des inégalités et de la sauvegarde de leurs profits nous rejouent la société d’Ancien Régime.

Quand Christophe Barbier dit à propos des “Français des tropiques” – sans que lui ne soit poursuivi par aucun tribunal! – qu’ils “veulent travailler à l’antillaise et consommer à l’européenne”, il reprend, en fait, les “sanglots” des colons quant à l’esprit de rébellion des esclaves, quant à leur rejet de la “valeur travail” telle qu’elle est conçue dans le système de l’économie de plantation (Oups! J’ai commis le crime d’écrire la nouvelle expression taboue… j’y reviens quelques lignes plus bas puisque c’est ce terme d’“économie de plantation” qui est le cheval de Troie de l’armée des sicaires), quant à l’inertie volontaire des exploités qui grippe la machinerie coloniale.

C’est à partir de cette opinion que le lobby colonial porta la nécessité de rétablir le fouet, l’esclavage et la ségrégation jusque sur le bureau de Bonaparte (déjà un “pragmatique” à la tête de la République!). On sait que celui-ci mit la chose en application en 1802 avec le maintien de l’esclavage à la Martinique (restée sous une occupation britanniques négociée directement par les représentants des béké) et en chargeant deux expéditions militaires de restaurer l’esclavage et de rétablir la saine ségrégation et l’absolue distance entre les “blancs” et les “gens de couleur” – esclaves comme libres – à Saint-Domingue et à la Guadeloupe.

C’est à partir de cette opinion que les colons demandèrent et obtinrent, après l’abolition de l’esclavage de 1848, le recours à l’immigration de travailleurs indiens sous contrat et sous-payés (la Coolie trade) et à la traite d’esclaves congolais “déguisés” en engagés volontaires.

C’est au nom de ce type d’opinion qui tient pour suprême nécessité d’assurer le profit le plus élevé et le plus rapide aux investisseurs que l’on déplace les complexes hôteliers vers des régimes politiques, économiques et fiscaux bien plus favorables pour les milieux affairistes et dans des sociétés suffisamment dépotjolé pour permettre une prostitution diversifiée et à grande échelle (“sens de l’accueil” et “satisfaction clientèle”!).

En résumé, une même manière de voir l’humanité comme un ensemble divisé en deux groupes bien distincts : une minorité accaparant la propriété matérielle et une majorité chargée de la mettre en valeur par son travail et dont les moindres revendications et aspirations au rééquilibrage des profits et avantages réservés à un cercle d’initiés et des charges et désagréments imposées à l’immense multitude apparaissent comme autant d’outrages à l’ordre divin (qui a déterminé la place de chacun dans la cité des hommes), à l’ordre naturel (qui a fait que des “races” sont supérieures à d’autres), à l’ordre social (où chacun mérite sa place en fonction de ses capacités et de par sa volonté) ou à l’ordre économique (où chaque acteur récupère un bénéfice proportionnel à son investissement).

C’est le discours qui est tenu ou qui, quand il ne peut l’être, est sous-jacent. Et puis il y a les faits bruts et sans détour. Il n’est pas inintéressant d’insérer ici un bref rappel historique pour voir cette Weltanschauung béké en action, capable de renverser les valeurs, d’intervertir les victimes et les coupables afin d’assurer  la défense de ses intérêts particuliers:

Pendant les débuts de la Révolution en France et aux Antilles (Grenade, Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue, Sainte-Lucie, Saint-Vincent), les colons qui défendaient le maintien de l’esclavage et le renforcement de la ségrégation fondée sur le préjugé de couleur contre les principes de l’unité et de la liberté naturelle du genre humain proclamés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ont réussi à se présenter comme les victimes du “despotisme ministériel” et à renverser la perception de la situation coloniale en France.

Ils n’eurent de cesse – en se travestissant en révolutionnaires - de réclamer une autonomie politique afin d’empêcher la publication et la diffusion de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans les colonies (la mort était la punition de ceux qui s’en réclamaient et qui la diffusaient: ainsi le furent Vincent Ogé et Jean-Baptiste Chavannes au Cap-Français le 25 janvier 1791) et de sauvegarder le système esclavagiste et ségrégationniste. S’appuyant sur l’intense travail de désinformation et de pressions diverses mené par l’intermédiaire du Club Massiac (le centre d’organisation du lobby colonial de l’époque) et par tout un réseau de relais de leurs intérêts (des négociants des ports négriers de l’Ouest, des plumes ou des parlementaires rétribués pour promouvoir leur projet contre-révolutionnaire), ils purent non seulement freiner, un temps, la propagation des idées révolutionnaires aux ”isles à sucre” mais ils réussirent à faire l’Assemblée constituante piétiner les Droits de l’Homme et du Citoyen en lui faisant constitutionnaliser l’esclavage et le préjugé de couleur en mai 1791. Un des arguments avancés par les colons afin d’obtenir ce retournement politique et ce reniement des principes était qu’il fallait assurer la protection des “blancs” – largement minoritaires – de la “sauvagerie africaine”.

Quand Christophe Barbier – un journaliste impertinent et à contre-courant – et Frédéric Lefebvre – un politique indépendant et d’une grande probité – brandissent à l’unisson le qualificatif de “tontons macoutes” à destination des membres du LKP, c’est un pan d’un moderne Club Massiac constitué de relais au sein des 4 pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire et médiatique) qui se révèle à nous avec un vocabulaire et un argumentaire finalement presque intacts. L’objectif est, lui, tout à fait similaire: il s’agit de protéger le pouvoir économique de ces Messieurs de la Martinique et de leurs cousins de la Guadeloupe, alliés des grands groupes français, face au potentiel violent et anarchique de la masse du peuple. Le couplet ne nous est pas moins familier: c’est celui de cette caste suprême, pour laquelle les parquets de la République sont d’attentionnées et vigilantes sentinelles, qui tente de se faire passer pour une minorité écrasée et menacée.

Quel spectacle que d’admirer le ballet parfaitement synchrone qui voit un planteur de la Guadeloupe annoncer à la télévision qu’il ne signera pas l’accord Jacques Bino de revalorisation des bas salaires par refus des termes “économie de plantation” figurant dans son préambule, le jour même où la présidente du MEDEF – cette association qui n’avait pas pouvoir de signer la moindre négociation salariale mais qui a malicieusement torpillé toute possibilité d’accord rapide – lance un plan média justifiant le refus de signer des grandes entreprises au nom des «valeurs fondamentales de la République», au nom du refus des patrons d’être qualifiés d’esclavagistes (quelle sensibilité d’âme !). Pour Laurence Parisot, qui est liée à plusieurs entreprises implantées à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, «économie de plantation» est synonyme d’«économie esclavagiste». Interprétation totalement abracadabrantesque, d’une parfaite mauvaise foi, qui serait la marque d’une indépassable stupidité si ceux qui la brandissent croyaient à leurs propres manipulations et leurs simulacres de posture outragée. Interprétation délirante, mensongère et bancale que l’on entend se répandre en boucle par l’intermédiaire des différents ministres, puis jusqu’au sein de la Commission Nationale de la Négociation Collective (CNNC) dépendant in fine du ministre du travail, l’ancien voyagiste de la République, Brice Hors-d’ici. L’extension de l’accord salarial Jacques Bino de manière obligatoire par décision gouvernementale n’est donc pas encore faite, et le cheminement des opinions portées par une caste, de la Guadeloupe en passant par le MEDEF jusqu’aux plus hautes sphères gouvernementales, devrait permettre d’expliquer à ceux qui s’en étonnaient la nécessité pour le LKP, et pour les syndicats de travailleurs qui en font partie, de continuer à arracher la signature de l’accord entreprise par entreprise. Par l’intermédiaire de la CNNC et avec l’appui du gouvernement, le MEDEF jouera l’obstruction aussi longtemps que cela lui sera possible.

Si nous relisons l’Histoire, non pas pour y rester englués mais bien pour nous projeter vers de nouveaux horizons à partir de l’expérience et des enseignements que nous saurons en tirer, et si nous essayons d’analyser les données et les trames, nous prendrons conscience que le travail d’influence et de propagande de la classe dominante vise la longue durée. Ce qui a dû être cédé sous la pression du mouvement populaire, sera repris – d’une manière ou d’une autre – dès que l’opportunité se présentera.

Face aux menées de colons pour sauvegarder la société coloniale esclavagiste et ségrégationniste entre 1789 et 1794, hormis le rôle primordial des puissantes insurrections d’esclaves aux Antilles (et en tout premier lieu celle de la plaine du Nord à Saint-Domingue à partir d’août 1791), c’est par l’envoi en France de représentants chargés de contrer le lobby colonial et de diffuser les informations sur la situation réelle des colonies et sur les véritables agissements et objectifs des colons, c’est par le regroupement de citoyens antillais de Paris luttant pour la liberté et l’égalité et contre le programme contre-révolutionnaire du club Massiac et de ses affidés que la première abolition de l’esclavage (29 août 1793 à Saint-Domingue, 4 février 1794 pour le décret de la Convention), la destruction du préjugé de couleur et l’application de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans l’espace caribéen furent obtenues.

Nous, les héritiers de cette Histoire, qui vivons aujourd’hui, en 2009, l’affrontement entre deux projets opposés quant à la place dévolue aux pauvres, quant à la souveraineté populaire et quant à l’économie politique, nous serions bien inspirés de prendre exemple sur les glorieuses révolutions antillaises et françaises. Il nous faut absolument organiser des relais d’information entre les deux rives de l’Atlantique, il faut prestement que ceux d’entre nous qui résident sur le sol européen se rassemblent pour peser sur le débat politique en Europe et en France, pour relayer et renforcer l’action des mouvements populaires dans les colonies et pour contrer le plus fortement possible les agissements de la clique des profiteurs et des accapareurs.

* Ceux et celles qui sentent cette nécessité de regroupement et d’action conjointe pan-atlantique sont invités au meeting organisé par le collectif Continuité LKP, ce vendredi 3 avril 2009, au FIAP – 30, rue Cabanis 75014 Paris (Métro Glacière) à 20H, en présence de Raymond Gama, responsable des relations extérieures du LKP.

LKP

 Viré monté