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Drive, l'errance ensorcelée, Gerry L'Étang

Par  Delia Blanco

 

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Drive. L’errance ensorcelée. Nouvelles réunies par Gerry L’Étang • HC Editions, Paris • décembre 2009 • 188 p. • 14,50 €.

Drive

Dans la revue de littérature francophone Cultures Sud, Delia Blanco analyse ainsi ce recueil de nouvelles sur l’errance en Martinique.

Ces nouvelles, réunies par Gerry L’Étang, constituent un ensemble littéraire d’une grande variation d’écritures. En effet, la réunion de plumes et de langages aussi divers nous offre la possibilité d’élargir notre champ de lecture et de saisir, autour d’un même sujet littéraire comme l’errance, la magie de dix-neuf imaginaires.

La drive, ou la dérive mentale, est un thème qui touche l’ensemble des sociétés créoles. En effet, dans nos îles, nous trouvons de plus en plus de jeunes et de moins jeunes confrontés à la douleur psychique et à l’échec social et professionnel, ce qui les conduit à errer le jour et la nuit dans les quartiers populaires, dans les zones marginalisées, traînant leurs rêves enfuis et leurs échecs.

Jean Bernabé aborde la belle Chimène comme un conte rapporté dans une séance de bel air. «Oyez, bonnes gens comme il se doit». Et nous entendons l’histoire de la belle jeune fille ayant perdu raison: «Je l’ai vue, on ne peut plus roide, contempler la mer, debout, marmonnant des paroles qui ressemblaient à des prières. De toute manière, sous l’eau, il n’y a pas de chemin. Quelle que soit la vie qu’elle mène, là où elle se trouve, puisse t’elle parvenir à y trouver un repos véritable.»

Jean Bernabé s’est attaché à l’émotion que lui provoque la dérive d’une jeune femme créole et son écriture est imprégnée d’un sentiment retenu et pudique.

Daniel Boukman, dans «La cage sans barreaux», entre dans la folie même de celui qui revient au pays après de longues années d´absence, d'exil psychologique et affectif. Cette nouvelle a peut-être une résonance autobiographique, mais elle correspond surtout à la situation de ceux qui reviennent et qui ne s’y retrouvent plus. «Je suis un fantôme. J’étouffe. À toutes les drogues, je me suis adonné. Jamais, jamais voyage n’a été plus loin que les étoiles et, chaque fois, le retour, terrible, terrible retour.»

Efficace et poétique, au rythme d’une incantation de désespoir, la narration de Boukman porte le goût amer du revenant.

Alfred Alexandre évoque avec cynisme et dérision le contexte social de ceux qui ont encore une lueur de raison pour déguiser leurs douleurs et leurs échecs. «Et puis, de toute façon, alors que la plupart des gens dans ce pays crèvent de faim en jouant aux grands bourgeois, nous, malgré nos faces minables, on a toujours de quoi boire et manger sept jours sur sept, en quantité. Ils nous voient partir chaque matin et continuent à croire qu’on est vraiment des toxicos, pourquoi on irait s'emmerder la vie.»

Dans ce recueil, chaque nouvelle correspond à une situation sociale et psychologique particulière illustrant comment chacun des protagonistes touche le fond du gouffre. Dans ce sens, le livre a le mérite de nous proposer un panorama sincère de l’échec humain à travers des vies déchirées et triturées par des années de souffrance. Ce sont autant de récits poignants qui réveillent les consciences.

Nous saluons le choix fait par Gerry L’Étang, qui a su réunir un grand éventail de générations d’écrivains devenus complices d’une douleur qui les concerne.

Source, revue Cultures Sud.

 Viré monté