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Galerie de peinture mauricienne 
Galri lapintir morisyen

Log Choïsanne
(1796?-1874)

Emmanuel Richon

Log Choïsanne

Le portrait de Log Choïsanne est un modèle du genre. D’abord par sa facture typiquement orientale, très rare à Maurice, puis par sa composition, qui nous propose nombre de symboles parsemant l’œuvre entière.

La facture elle-même s’avère de conception chinoise et le portrait en question est sans nul doute l’œuvre d’un Chinois. La toile, choisie volontairement fine, n’est pas véritablement peinte, elle fait plus l’objet de colorations tinctoriales que de peinture à proprement parler. Comme dans de nombreux cas, l’écriture entre dans la composition, ce qui est rare dans l’art occidental, où la sphère littéraire, le plus souvent, ne peut pénétrer le tableau que par son traitement strictement pictural, ce qui n’est absolument pas le cas en extrême orient. Ainsi, le pourtour du plastron et le haut du vase à fleurs sont garnis de calligraphies. Les mots sont décors, frises, allégories, inséparables de l’œuvre.

Log Choïsanne

Détail du vase après restauration.

Ainsi, le caractère “shou”, tout autour du plastron, qui représente la pierre, symbole de longévité. De même, la grue qui figure sur le vase en haut à gauche, considérée elle aussi comme emblématique de la longévité et de la sagesse, tout comme les pins clairement dessinés au sein du paysage esquissé sur le même objet. Le pin est symbole de longévité et prospérité. L’orchidée peinte est, quant à elle, gage de pureté et de loyauté, tout comme la fleur de lotus aux pieds du personnage, qui représente également la vérité et la fertilité. Si nous examinons maintenant le vêtement que porte Log Choïsanne, même les boutons ont valeur de sens et ce petit losange esquissé dans son cercle, “cash”, est lui-même symbole de richesse et d’opulence.

Log Choïsanne
Détail du plastron après restauration.

Quant au plastron, à gauche nous notons la présence d’une chauve-souris rouge, qui figure comme une promesse de bonheur, le nom de ce petit mammifère, “fu” se prononçant identiquement à celui signifiant bonheur, il a toujours été symbolique d’un certain hédonisme oriental. Le phoenix qui s’envole est une image du soleil (qui renaît chaque matin), de la fertilité, de la chance, la longévité, ainsi que des cinq qualités humaines essentielles, la vertu, le devoir, l’honnêteté, la compassion et l’amitié.

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Caractère "shou"

Si nous prenons le vêtement en tant que tout, il s’avère typique de l’habillement chinois, manches amples, chapeau conique couvrant visage, cou et épaules, garantissant un ombrage conséquent, sandales à hautes semelles de bois, permettant d’éviter efficacement les flaques d’eau port-louisiennes, ...

Log Choïsanne
Détail après restauration et rentoilage.

Les mains, aux ongles longs nous montrent le rang social de notre personnage, sûrement peu enclin à travailler la terre. L’immense chapelet entourant le cou de notre personnage en manière de collier, n’est pas sans évoquer une forte spiritualité et un ancrage fondamental dans la foi traditionnelle. N’oublions d’ailleurs pas que ce portrait se trouve au sein de la pagode Quan Ti et qu’il ne fait pas qu’évoquer le disparu, il permet également de communiquer avec lui par la prière. L’invocation des disparus est en effet inséparable de tout rituel bouddhiste. Dans ce portrait, tout nous permet d’évoquer la richesse, le commerçant honnête et travailleur, la réussite et la reconnaissance sociales, ce dont ne devait pas manquer Log Choïsanne durant sa vie, celle-ci présentée de manière picturale comme une manière d’exemple.

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Log Choïsanne, fondateur de la présence chinoise à Maurice

par Joseph Tsang Mang Kin1

Log Choïsanne
Détail de la restauration, visage avant nettoyage.

Peu de Chinois et encore moins de Mauriciens connaissent Log Choïsanne, le fondateur de la présence chinoise à Maurice. Il est grand temps qu’on connaisse son œuvre et qu’on lui rende justice.

Arrivé dans le pays au début de la colonisation britannique de l’île, cet homme se fait remarquer par la petite communauté du Camp des Chinois. Avec ses amis Li Thi San, Heung Fok Kune, Hong Shun Seuy, Kong Pew et Phorn Pew, il fonde aux Salines un Hall des Loyalistes, association que les Chinois outremer créent pour combattre l’occupation mandchoue. Mais dans l’immédiat, ce Hall servira à assister les Chinois venus au pays chercher de l’emploi, en leur offrant gîte et couvert jusqu’à leur embauche.

Il attire également l’attention du gouverneur Farquhar, qui lui confie la mission d’aller en Chine recruter de la main d’œuvre,ouvriers et agriculteurs, car le gouvernement britannique a interdit la traite des esclaves. Il revient en 1826 avec des hommes qui l’assisteront dans ses nombreuses initiatives pour le bien de la communauté. L’on sait que c’est Chong qui se mit en devoir de faire une collecte qui aboutit à l’achat d’un terrain aux Salines pour servir de cimetière. Un foyer funéraire en forme de fer à cheval dédié, comme en Chine, au grand ancêtre, Tai Pak Koung, fut consacré au mois de juillet 1829.

Log Choïsanne Log Choïsanne
Détail avant et après restauration, en bas à droite de l'œuvre.

Homme de prévoyance, une fois tombé malade, il fait appeler le notaire chez lui, à la rue Royale, le 19 juillet 1837, pour lui dicter ses dernières volontés. C’est là que l’on apprend qu’il n’a “qu’un seul enfant nommé Tianne Fat, issu d’une liaison avec Eléonore Cruaux.” Il a un frère boulanger, Atchi, à Pulopinan, et un neveu, Kane Faye, à Canton. Il a deux boutiques, une au bazar et l’autre à la rue Royale, qu’il administre lui-même. Mais Choïsanne ne mourra pas de sitôt, ce qui nous donnera l’occasion de le connaître et de le découvrir.

Ce qui montre la vision de cet homme extraordinaire, c’est qu’il participe à une vente aux enchères au cours de laquelle il achète un terrain de 768 toises au lieu dit Caudan, pour 780 piastres. Sur cet emplacement, il demande la permission au gouverneur de bâtir une pagode. Dans sa lettre, il rappelle habilement la tolérance religieuse du gouvernement britannique, qui a autorisé la construction de pagodes dans les territoires de l’empire. Une fois l’autorisation obtenue, il fait bâtir à ses frais une pagode et une petite dépendance. Pour l’inauguration de la pagode Cohan Tahi Biou, il demande aux patrons employant des Chinois, de les autoriser à assister à l’inauguration de la pagode, la première à être construite dans la colonie. La pagode, qui sert sous sa dénomination Cohan Tahi Biou, au culte de leur religion, est administrée par lui-même et ses amis Assam, Fancione, Ahine et Attingue, qui assurent la direction temporelle et spirituelle de la dite chapelle.

Log Choïsanne
Etat d'origine, trois tests de nettoyage sont visibles en haut de l'œuvre.

Devant partir à l’étranger, il prend les dispositions nécessaires pour s’assurer que personne “ne pourra ni vendre, ni louer ce dit terrain, ni la chapelle ni la dépendance, ni changer la destination de la dite chapelle.” Par ailleurs, aucune circonstance “n’entravera l’administration de la dite chapelle pour le culte auquel elle est destinée ...” Tout cela fait l’objet d’un acte fait chez le notaire Gustave Koenig, le 19 janvier 1843.

Entre-temps, en Chine, la révolution Taiping a commencé. A Maurice même, sur 1778 recensés, il y a 586 Chinois à Port-Louis et 38 dans la campagne. Le temps passe et les directeurs disparaissent.

Après la mort de Assam et de Fancione, le départ d’Attingue, il ne reste que Ahine et Choïsanne lui-même. Il fonde une nouvelle équipe en faisant appel à sept autres Chinois, notamment son fils Tianne Fat, Tang Ahène, Ha Mong, As Sy, Tong Shire, U Shen et Shew Fat, “sous la condition expresse que pendant toute sa vie, Ahime Choïsanne sera directeur de cette société, qu’après son décès, Tianne Fat sera son successeur et qu’après le décès de ce dernier, ce sera le tour de Tang Ahène”.

Dans ce nouvel acte passé devant le notaire Aristide Pelte en 1858, Choïsanne fait un geste généreux. Il “déclare et reconnaît que l’église ... ainsi que le terrain et tous les objets quelconques ... ne sont point sa propriété privée, mais appartiennent à tous les Chinois de cette colonie exerçant le même culte que lui.”

Log Choïsanne
Log Chpïsanne, état initial on peut noter trois essais de nettoyage local de la suie, en haut du tableau.

C’est ainsi que d’autres Chinois comme les Hakkas, qui arrivent de Moï-Yène en septembre 1860, peuvent y pratiquer le culte de Kwan Tee. Pour marquer leur contentement, les Hakkas offrent une cloche de bronze à la pagode, ce qui en dit long sur les excellentes relations qui existaient déjà entre Foukiénois, Cantonnais et Hakkas. Ils vont tous ensemble contribuer à l’aggrandissement à l’arrière de la pagode en 1866 et à l’adjonction de deux ailes en 1869.

En 1872, Log Choïsanne a plus de soixante-quinze ans. Homme accompli, il peut regarder en arrière avec la satisfaction d’avoir eu une vie bien remplie au service de la communauté dont il fut le premier leader. Il est aimé, admiré, respecté. On le fête avant son départ pour la Chine. La communauté chinoise fait défiler un cortège qui attire une foule considérable dans les rues de la capitale. Citons le compte-rendu d’un journal : “presque toute la population était dehors pour voir ce spectacle tout à fait inconnu à Maurice ... les monstres-mannequins ... étaient parfaitement réussis et l’effet de lumière à travers le papier de soie de toutes les couleurs était très bien ménagé. Nous avons remarqué un dragon monstrueux qui a fait ses évolutions mythologiques dans la rue du gouvernement et deux chevaux incandescents.”

Plus important, le gouverneur était sur le balcon de l’Hôtel du gouvernement pour voir défiler le cortège. C’est dire la place respectée qu’occupe déjà la communauté chinoise dans le pays.

Après sa mort, c’est Tang Ahène qui prend la direction de la pagode. Accompagné d’autres volontaires dont Kamphoï, Ah Kong, Hinlonguo, Chang Ahon, Heen Young, Fanlock Unkeet et Easton, il se rend chez le notaire Pelte, en 1875, pour signer avec eux, de nouvelles conventions relatives à la gestion de la pagode.

Il ne fait pas de doute que cette pagode a servi, pendant plus d’un siècle et demi, de point de ralliement religieux, culturel et social de la communauté chinoise. Sans elle, il aurait été pratiquement impossible à la communauté d’assurer son identité, sa sécurité, sa continuité et sa permanence. Pour son travail social inlassable pour le bien de la communauté, qu’il a représentée auprès des autorités, et pour le merveilleux don qu’il a fait à la communauté chinoise de l’île, nous ne finirons jamais de remercier Log Choïsanne, sans oublier tous ceux qui l’ont aidé par leur travail et leurs sacrifices, à réaliser son noble idéal d’unité et de fraternité.

Log Choïsanne
Détail de la restauration, visage après nettoyage.

Puissions-nous aujourd’hui nous montrer ses dignes successeurs!

  1. Nous remercions Joseph Tsang Mang Kin d’avoir consenti à la diffusion de ce texte biographique rédigé par lui.

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La pagode Kwantee (Guan Di)

(par Roland Tsang Kwai Kew2)

Pagode Guan Di
Pagode Guan Di.

La pagode Kwantee, la plus ancienne pagode de Maurice, voire même de l’hémisphère Sud, a été fondée en 1842. Connue sous la dénomination de Cohan Tahi Biou, cette pagode est située au quartier des Salines, plus précisément à la rue Kwan Tee. Fondée par Ahime Choïsanne ou Log Choi Sine, le fondateur de la communauté chinoise de l’île, elle sert de lieu de culte aux Mauriciens d’origine chinoise et est dédiée au culte du Dieu Guan Di.

Guan Yu (160-220 ap. J.C.) était un guerrier exemplaire qui a été élevé au rang de divinité et à qui on a donné le nom de Guan Di après sa mort, en raison de ses nombreuses qualités d’homme vertueux, courageux, juste, fidèle, loyal et patriote. Doué d’une grande intégrité, il allie la force morale et physique qui lui a permis de s’imposer et d’être respecté, même par ses ennemis.

Après sa mort, Guan Yu devient un personnage légendaire dans toute la Chine. Ses exploits guerriers sont cités en exemple et font l’objet de saynètes jouées par les acteurs et comédiens des théâtres ambulants. C’est sous la dynastie des Ming (1572-1679), que l’Empereur lui donne le titre d’Empereur (Di), qui vient s’ajouter à son nom Guan, d’où le nom Guan Di. A partir de cette période, on érige des pagodes qui sont dédiées au culte de Guan Di et ce personnage devient une figure légendaire, populaire et divine, dans toute la Chine et dans les pays de la diaspora chinoise.

Toutefois, c’est sous l’Empereur Tao Kouang, que des pouvoirs spéciaux sont conférés aux administrateurs des localités, les obligeant à élever dans leur circonscription, une pagode en l’honneur du Dieu Guan Di et de lui donner les offrandes le jour de sa fête. Ahime Choïsanne et plus tard, Affan Tank Wen, les leaders de la communauté chinoise de Maurice, ont sans doute pensé à ce décret, lorsqu’ils érigèrent aux Salines et au Champ de Mars, chacun respectivement, une pagode en l’honneur de Guan Di.

Le culte de Guan Di s’est perpétué à travers le temps et l’espace. Ses grands principes sont résumés en huit caractères chinois qui sont:

La fidélité, la sincérité, la droiture, le courage, la probité, la grandeur, l’honneur et l’honnêteté. Ces huit qualités règlent la vie de nombreux Chinois. Guan Di est le Dieu des militaires, de la justice, des lettres et des commerçants.

Pagode Guan Di
Un des autels de la pagode Quan Ti, où se trouve désormais le portrait de Log Choïsanne restauré.

A Maurice, les fidèles sont nombreux à se rendre chaque quinzaine du mois à la pagode Kwantee des Salines et à celle du Champ de Mars pour lui demander aide et protection. Ils viennent aussi consulter avant de prendre des décisions importantes qui influenceront leur vie familiale et professionnelle, comme par exemple avant de s’engager dans le commerce, d’entreprendre un voyage à l’étranger et de construire un bâtiment.

Chaque année, au 24ème jour du sixième mois lunaire, on célèbre l’anniversaire de Guan Di, connue des Sino-mauriciens comme fête Mine. A cette occasion, on fait des offrandes à Guan Di.

Au cours d’un déjeuner payant réunissant des centaines de fidèles à partir de midi et le soir après une cérémonie religieuse, on distribue des mines frites aux invités. Pour les fidèles, ce petit sachet de mines frites a toute son importance. La tradition veut que celui qui en consomme connaisse la joie, la prospérité et la longévité au sein de sa famille.

2. Nous remercions Roland Tsang Kwai Kew vivement pour ce texte.

 

Log Choïsanne
Œuvre rentoilée et restaurée.
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GUAN DI - 2006 : du Samedi 15 au Mercredi 19 Juillet 2006 à Saint Denis.
 

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