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Exaltation de Saint-Louis

Peinture à l’huile sur toile, XIXe siècle, signée Henriette Chapon
Propriété de la cathédrale de Port-Louis

Emmanuel Richon

Saint-Louis
"Exaltation de Saint-Louis" peinture à l'huile sur toile peinte par Henriette Chapon, propriété de la cathédrale de Port-Louis.

Cette peinture montre bien Louis IX dans un discours éminemment littéraire où tout dans l’esthétique du tableau est là pour nous rappeler les témoignages des contemporains du saint homme. Ces derniers nous affirment tous sans exception, que la couronne du roi et son manteau fleurdelysé n’occultaient point son humilité. Il n’oubliait jamais qu’il n’était qu’un homme parmi les autres.

Tout d’abord, son visage est parfaitement conforme aux descriptions de l’époque. Que n’a-t-on écrit sur sa candeur! Les portraits tracés par les chroniqueurs le desservent  étonnament. Ils faussent sans doute quelque peu la réalité. Ces vénérables plumitifs lui attribuent à l’envi un visage angélique d’Adonis et des yeux de colombe. 

Le plus remarquable dans cette peinture est le fait que même si l’apparence du saint homme offre un poncif physique quelque peu magnifié par l’hagiographie, la mise en situation semble bien, à l’inverse, empreinte d’une grande originalité.

Tout le monde connaît en effet, cette page de Joinville, fidèle du roi qui inspira les illustrateurs de tant de manuels scolaires: «Maintes fois il advint qu’en été il allait s’asseoir au bois de Vincennes après la messe, s’appuyait à un chêne, et nous faisait asseoir autour de lui ; et tous ceux qui avaient à faire venaient lui parler, sans empêchement d’huissier ou autres.»

Saint-Louis
Exaltation de Saint-Louis, œuvre avant restauration.
Saint-Louis
Exaltation de Saint-Louis, œuvre après pose de pièces et rentoilage.

Le roi rendant la justice sous le chêne ou dans la cour de son palais, voilà bien en effet de ces images d’Epinal qui se gravent dans nos mémoires d’enfants. On doit effectivement à Louis IX l’ordonnance dégageant les premiers linéaments d’un code de procédure pénale applicable à tous et supprimant l’arbitraire …

Il eut été sans doute plus aisé de se conformer à cette symbolique attendue par tout un chacun. Cependant, ce ne sera pas cette situation facile que retiendra l’artiste du XIXe, mais plutôt celle du croisé, non pas tant, d’ailleurs, dans une situation de combattant conquérant, mais au contraire, saisi au moment précis de quitter le monde d’ici bas. Situation qui a justement le mérite à nos yeux, d’abandonner l’hagiographie pure et simple, pour permettre l’interprétation libre de l’artiste: s’agit-il d’une élévation ? Ascension facilitée par les anges alentour, qui semblent bien là pour suggérer un tel voyage, ce qu’évidemment aucun écrit n’atteste mais que rien n’empêcherait pourtant de croire.

Voilà donc le croisé fidèlement dépeint, tel qu’il fut décrit, au moment où, avant de quitter le royaume, le légat Odon de Chateauroux lui remit le bourdon et l’écharpe de pèlerin. N’est-ce pas cette dernière que lui tend justement l’ange à sa droite ?
Un moine franciscain, frère Salimbene, qui le vit passer, trace de lui ce portrait saisissant: «Le roi était frêle et mince, assez maigre et de haute taille; il avait un visage d’ange, une gracieuse figure. Il s’en venait à l’église des Mineurs, sans luxe princier, en habit de pèlerin, portant au cou son bourdon et sa panetière, qui ornaient à merveille ses royales épaules ; il ne s’avançait pas à cheval, mais allait à pied »

De ce point de vue au moins, Henriette Chapon, l’auteur de ce chef-d’œuvre suivra scrupuleusement les témoignages et lui donnera tous les traits et atours, vêtements et expressions tels que narrés par les contemporains du Saint. Prenons ce casque des croisades au panache royal, avec sa croix christique bien en évidence, aussi bien que ce manteau rouge bordé d’hermine fleurdelysé, assurément rien là d’improvisé…

Saint-Louis Saint-Louis
Détail d'un angelot au pied du saint.
Détail avant réintégration picturale.
Saint-Louis Saint-Louis
Détail de l'ange après restauration.
Détail restauré.

«Les rois de France ont accoutumé de porter en leurs armes la fleur de lys peinte par trois feuilles, comme s’ils disaient par là à tout le monde: Foi, sapience et chevalerie sont, par la provision et par la grâce de Dieu, plus abondamment en notre royaume qu’en les autres. Les deux feuilles de la fleur de lys signifient sens et chevalerie qui gardent et défendent la troisième feuille qui est au milieu d’elles, plus longue et plus haute, laquelle signifie foi, car elle est et doit être gouvernée par sapience et défendue par chevalerie. Tant que ces trois grâces de Dieu seront fermement et ordonnément jointes en France au royaume de France, le royaume sera fort et ferme, et s’il advient qu’elles en soient ôtées ou séparées, le royaume tombera en désolation et en destruction.»

Guillaume de Nangis, Geste de Saint Louis

Ange
Détail avant réintégration picturale et après rentoilage.

Par souci de probité, lorsque Louis IX instituera un nouveau système monétaire et imposera l’écu à tout le royaume, première monnaie d’or capétienne, il utilisera ce symbole plus que tout autre avant lui, faisant graver sur la pièce de monnaie une croix fleuronnée cantonnée de quatre fleurs de lys et portant l’inscription +Ludovicus: Dei Gratia Francor Rex. Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français.

Quant au manteau rouge, Henriette Chapon là encore paraît singulièrement documentée: il est attesté par le fidèle Joinville lui-même, qu’au cours du mois de mars 1267, ce dernier reçut une convocation du roi; le motif n’en était pas précisé. Il eut un songe, dans lequel il crut voir Saint Louis agenouillé devant plusieurs évêques qui lui imposaient une chasuble rouge. Il en fit part à son chapelain qui pressentit que Louis allait prendre la croix et que le rouge de la chasuble annonçait l’échec de la croisade…

Tout dans ce tableau aspire à décrire l’exaltation religieuse du Saint, mais sans pour autant abandonner une once d’historicité. Tous les détails attestent d’une vraie recherche hagiographique fidèle à la vie du Saint homme. Il n’est pas jusqu’au fort au bas à gauche du tableau, construction au large donjon effectivement circulaire, qui nous dévoile le château de Carthage qui tomba aux mains des croisés, dès leur arrivée, sans opposer de résistance et qui, dans un second temps, se révélera être un véritable piège, les enfermant en un espace confiné et particulièrement malsain qui s’avérera leur être fatal, emportant sans prévenir, leur chef et la plupart des soldats venus pour en découdre.

Saint-Louis Saint-Louis
Exaltation de Saint-Louis, détail de l'oeuvre permettant de juger de l'importance des altérations accidentelles.
Visage du Saint, accident de crevaison visible.
Saint-Louis Saint-Louis
Détail de l'œuvre après pose de pièces, rejointoiement des déchirures et rentoilage, avant réintégration picturale.
Détail du tableau après rentoilage et réintégration picturale, état restauré.

Si nous nous attardons maintenant sur l’expression du visage, nous remarquerons sans peine les traits peints par Henriette Chapon, ce sont assurément ceux d’un illuminé, d’un profond exalté, en extase divine, tourné entièrement vers son créateur et confiant dans l’assurance de le retrouver enfin. La mystique du visage est évidente, les yeux tournés vers le ciel, les bras et les mains levés montrant cette sorte de hâte et d’aspiration à rejoindre le tréhaut, le tout conçu pour traduire l’intensité de la foi d’un Saint telle que tous les témoignages l’attestent alors:


«Ses pratiques religieuses étaient telles qu’elles inquiétaient ses chapelains craignant pour sa santé: il sortait de ses méditations, ou de ses extases, comme égaré, épuisé, au bord de l’évanouissement.»

Que déduire de cela? Que ce mystique n’était pas intemporel mais dans son temps et de son temps, «Il allait sans cesse de la terre au ciel, comme en se jouant de l’obstacle ; il sortait de ses brèves extases pour décider, pour gouverner.» nous déclare Joinville.

«Bien lui fut métier (besoin) qu’il eû en sa jeunesse l’aide de Dieu, car sa mère qui était venue d’Espagne, n’avait ni parents ni amis dans tout le royaume de France.»

Il naquit le 25 avril 1214. De la cérémonie du couronnement il nous est dit que «L’enfant-roi supporta la cérémonie courageusement. Il raconta plus tard à Joinville que, ce jour là, l’introït de la messe était: «Vers vous j’ai élevé mon âme, ô mon Dieu; en vous je me confie, que je n’en aie point de confusion, car vous viendrez au temps marqué. Que mes ennemis ne se réjouissent point à mon sujet, car aucun de ceux qui espèrent en vous, ne sera confondu. Seigneur, faites moi connaître vos voies et enseignez moi vos sentiers…»

Ce qui, sous la plume de Joinville prend cette forme: «Ad te levavi animam meam», qui veut dire: «Beau Sire Dieu, j’ai levé mon âme et mon cœur vers toi, je me fie en toi. Desquelles paroles avait le bon Roi grande fiance (confiance), en le disant de sa personne, pour la grande charge qu’il venait à prendre.»

Son confesseur (Guillaume d’Auvergne), ses chapelains, les religieux qui fréquentaient la cour, pouvaient tous attester la sincérité de sa foi. C’était une foi vécue à tous les moments de la journée. Là dessus, les témoignages abondent. Voici ce qu’écrit le confesseur de la Reine Marguerite, son épouse:

«Souvent, pendant la nuit, le roi sortait doucement de son lit, s’habillait, se chaussait et allait si vite à sa chapelle que ceux qui couchaient dans sa chambre, n’ayant pas le temps de se chausser, couraient nu-pieds après lui.

Quand les matines étaient dites, le roi demeurait longtemps en oraison, ou dans sa chapelle ou dans son oratoire. Lorsqu’après son oraison, il n’était pas encore jour, le roi ôtait sa chape et entrait dans son lit; quelquefois, il se couchait avec sa chape et dormait.  Parfois, il donnait à ceux qui étaient dans sa chambre une certaine mesure de cierge, leur enjoignant de ne pas le laisser dormir plus longtemps que brûlerait ce flambeau; il arrivait ainsi que, quand on éveillait le roi, il disait en se levant qu’il ne s’était pas encore réchauffé. Dès que le prince était réveillé, d’après les ordres qu’il en donnait, il se levait aussi promptement qu’il pouvait et allait à l’église ou à la chapelle.»

Le confesseur de la Reine d’ajouter:

«Le bienheureux roi brûlait de l’ardente dévotion qu’il avait pour le sacrement du vrai corps de notre Seigneur Jésus Christ; il communiait à tout le moins six fois par an, savoir à Pâques, à la Pentecôte, à l’Assomption de la bienheureuse Vierge Marie, à la Toussaint, à Noël et à la Purification.»  

Non seulement il adopta sa vie durant des vêtements modestes et rechercha la simplicité, mais l’existence privée qui fut la sienne évolua vers une rigueur de plus en plus prononcée. Il n’eut dès lors d’autre lit qu’une couchette de bois, sur laquelle on mettait un matelas de coton et que couvrait une étoffe très simple. Il dormait peu et veillait beaucoup. Quelque temps, il se leva à minuit, comme un moine de l’ordre le plus sévère, pour entendre matines et laudes qu’il faisait chanter dans sa chapelle, ou dans sa chambre. Il demeurait ensuite longtemps en prières, prosterné jusqu’à terre, devant l’autel.

Après sa première croisade d’Egypte, il porta même quelque temps, la haire à même la peau, tous les vendredis de l’Avent au Carême, peut-être même tous les vendredis de l’année, ainsi que la veille des fêtes de la Vierge. Il ne renonça à cette mortification que sur les conseils réitérés de son confesseur.

L’intense mysticisme qui inspirait ses prières et ses méditations, et, croit-on, le conduisait au bord de l’extase, se matérialisait surtout, dans sa vie quotidienne, extérieure, par la charité. En avent, en carême, les mercredi, vendredi et samedi de chaque semaine, il recevait treize pauvres à sa table. Il ne se contentait pas de leur faire servir un repas par les valets ; il les servait lui-même. Il tranchait les viandes, comme s’il eût été leur indigne écuyer.

Quand il visitait les hôpitaux, il soignait lui-même les malades, pansait les plaies les plus répugnantes, ne craignant ni la contagion ni les salissures. Toute misère humaine le touchait au cœur. Sa dévotion était irréprochable. Ses fondations pieuses et ses aumônes dépassaient celles des autres princes de la chrétienté.

Bientôt l’occasion se présenta au roi d’acquérir des reliques encore plus précieuses que le Saint clou, et d’enrichir par là le trésor spirituel du royaume, il envoya à Bysance les dominicains Jacques et André qui négocièrent le rachat de la Sainte couronne d’épines auprès de l’empereur Baudouin II de Courtenay. Ils revinrent à Paris en 1238.

Louis IX tomba à genoux en contemplant la couronne d’épines. Il était plus heureux que s’il avait remporté une grande victoire ou conquis une province. Mais, on y insiste, cette exaltation de Saint Louis s’inscrivait dans la mentalité du temps.

L’empire bysantin tournait au désastre. Aussi l’année suivante, Baudouin II, après avoir remporté quelques succès, se trouvait à nouveau à court d’argent. Il emprunta aux templiers de Syrie une somme si importante qu’il dut faire appel pour la seconde fois à Louis IX, ayant engagé un morceau de la vraie croix. Cette relique fut rachetée par Louis IX et amenée à Paris. En 1242, ce furent le fer de la Sainte Lance et la Sainte Eponge. Pour abriter ce trésor et, plus encore, pour honorer ces témoignages tangibles de la crucifixion, le roi décida d’ériger une chapelle qui aurait la forme d’un immense reliquaire. Telle est l’origine de la Sainte Chapelle.

Qu’on ne s’y trompe pas! Ce n’est pas simplement parce que les lys alternent avec les châteaux de Castille sur la muraille, que Saint Louis est présent dans cette chapelle. C’est que celle-ci est son âme même, avec son poids corporel, ses élans vers le ciel et sa floraison mystérieuse. Louis IX, on le voit, eut véritablement un rôle indéniable dans la propagation de la foi dans ce pays qui devint grâce à lui, la «fille aînée de l’Eglise». A cet homme d’exception, ce Saint homme, l’Eglise de France doit un renouveau, une ferveur particulière qui, en retour, après la mort du Saint, l’enrichira de cultes particuliers à sa personne et son pouvoir d’intercession supposé.

Les circonstances mêmes de sa prise de décision de partir en croisade peuvent permettre de mieux cerner à quel point les proches du roi purent être sensibles à la ferveur que le Saint homme put susciter de son vivant même, préparant le terrain à un véritable culte de Saint Louis.

En 1244, la santé de Louis IX donnait des inquiétudes. Il s’était mal remis de la dysenterie contractée pendant la campagne du Poitou. Ses rechutes étaient fréquentes, amoindrissant sa résistance. Il s’était néanmoins rendu en pèlerinage à Rocamadour, en mai, avec sa mère et ses frères. Le mois suivant, il avait assisté à la consécration de l’église de Maubuisson. A l’automne, de terribles nouvelles parvinrent de Terre sainte. On apprit que les Infidèles venaient de prendre Tibériade, Jérusalem, Ascalon, et Damas; qu’ils avaient massacré jusqu’aux femmes, aux vieillards, aux infirmes, aux enfants, réfugiés dans l’église du Saint-Sépulcre. N’oublions pas en effet que Louis IX est l’exact contemporain du puissant Gengis Kahn… Ce désastre provoqua chez Louis une douleur extrême. Il retomba malade. En décembre, son état parut désespéré. On crut qu’il souffrait du même mal que son père Louis VIII: un flux de ventre accompagné d’une forte fièvre. Cette rechute le prit à Pontoise, au mois de décembre. La cour, le royaume entier furent en émoi. Archevêques, évêques, abbés, barons accoururent dans l’attente de l’événement. Des prières furent ordonnées dans toutes les églises, dans tous les couvents, pour fléchir la volonté divine. On organisa des processions dans toutes les villes.

Blanche de Castille demanda à l’abbé de Saint-Denis d’exposer à la vénération des fidèles les corps du glorieux martyr, protecteur du royaume, et de ses compagnons, Saint Eleuthère et Saint Rustique. On apporta les reliques de la Crucifixion, la couronne d’épines, la lance et l’éponge; on les donna à baiser au moribond. Déjà Louis avait dicté son testament, pris congé des barons et des prélats, en leur recommandant de bien servir Dieu. D’une voix éteinte, il disait à ses familiers:

-Voyez-moi ; j’étais l’homme le plus riche et le plus noble du monde, le plus puissant de tous par mes trésors, mon pouvoir et mes amis, et voilà que je ne peux arracher à la mort une trêve, à cette maladie une heure. Que vaut donc tout cela?

Il perdit connaissance. Dès lors, les médecins renoncèrent; on attendait la fin; le palais retentissait de soupirs et de sanglots. Un chroniqueur affirme même que le clergé reçut des ordres pour procéder aux obsèques. Deux femmes veillaient au chevet du roi: «Il fut à telle extrémité que l’une des dames qui le gardaient lui voulait tirer le drap sur le visage, et disait qu’il était mort. Et une autre dame, qui était de l’autre côté du lit, ne le souffrit pas; elle disait qu’il avait encore l’âme au corps. Et comme il venait d’ouïr le débat de ces deux dames, Notre-Seigneur opéra en lui et lui envoya tantôt la santé. Et sitôt qu’il fut en état de parler, il requit qu’on lui donnât la croix, et ainsi fit-on. Alors la reine sa mère ouït dire que la parole lui était revenue, et elle en montra aussi grande joie qu’elle put. Et quand elle sut qu’il était croisé, ainsi que lui-même le contait, elle montra aussi grand deuil que si elle l’eût vu mort.»

Saint Louis
Détail après restauration.

Mais Joinville n’avait pas assisté à l’agonie du roi. D’après une autre version (celle de Mathieu Paris), ce fut au moment précis où l’on apporta les reliques de la Crucifixion que Louis revint brusquement à la vie. On l’entendit soupirer. On le vit remuer les bras et les jambes. D’une voix profonde il dit:

-Visitavit me per Dei gratiam, Oriens ex alto et a mortuis revocavit me.

Ce qui peut s’interpréter ainsi: «Par la grâce de Dieu, le soleil levant est venu me visiter du haut des cieux et m’a rappelé d’entre les morts.»

Aussitôt il publia son intention de partir en Terre sainte pour délivrer le saint sépulcre, écrivit aux princes de la chrétienté et commença ses préparatifs. La nouvelle se répandit en Europe. Cependant, l’exaltation des premières croisades s’était refroidie. Tous n’avaient pas au cœur le brûlant amour de Louis IX pour Jésus-Christ. Trop d’hommes, trop d’argent, trop de terres avaient été sacrifiés pour le «Saint Voyage». Trop d’échecs tragiques jalonnaient l’histoire du royaume de Jérusalem. Or Louis IX se croyait prédestiné. Il ne doutait pas de sa réussite, car il se sentait guidé par l’invisible. La croisade durera six ans. Louis passa par la Bourgogne. Il ne manquait pas de s’arrêter dans les monastères et les églises. Il demandait aux curés et aux frères leurs prières. C’étaient ses provisions spirituelles. Chaque fois que l’on célébrait une messe dans les abbayes françaises, on ajoutait le Domine salvum fac regem (Dieu sauve le roi).

Hormis le sultanat d’Egypte, le monde musulman faisait bloc contre le petit royaume de Jérusalem. Ce royaume appartenait nominalement à Conrad, fils de l’empereur Frédéric, le roi de Chypre le gouvernait, théoriquement en son nom.

Arrivé au portes de la Palestine, il se résigna, sentant approcher le moment où ses fidèles eux-mêmes le lâcheraient. Il regrettait si amèrement de n’avoir pas reconquis Jérusalem qu’il refusa de s’y rendre en pèlerinage, bien que le sultan de Damas lui ait offert un sauf-conduit. Il lui semblait n’avoir rien fait, puisqu’il n’avait pas libéré la Ville sainte.   

Après la seconde croisade lancée par Saint Louis, les données furent différentes et l’enlisement dans le fort de Carthage en l’attente de troupes alliées s’avéra funeste, le roi succomba cette fois à la dysenterie. Nous voyons malgré tout que tous les ingrédients étaient présents afin qu’un culte lui fut rendu, ce qui ne manqua pas d’advenir rapidement.

En France, après l’annonce de son décès, l’abbé de Saint-Denis ordonna que l’on relatât ses miracles, après les avoir vérifiés avec soin. On en dénombra soixante-cinq, mais beaucoup furent écartés ou omis. Philippe III et ses barons demandèrent la canonisation. La première enquête fut faite en 1273, puis de 1278 à 1280, sur ordre du pape Nicolas III. Une seconde enquête fut prescrite en 1282. Trente-huit témoins furent entendus, parmi lesquels le sire de Joinville qui, pendant deux jours, déposa sur ce qu’il savait de la vie et des miracles de Saint-Louis. Le dossier fut transmis à Rome. Des cardinaux furent commis pour l’étudier. Les rapports s’accumulèrent. Il s’en trouva «plus que la charge d’un âne». Finalement, Boniface VIII délivra la bulle de canonisation. On était en 1297. Le procès n’avait pas duré moins de vingt-quatre ans et le roi de France était alors Philippe le Bel, petit-fils du nouveau saint. Le jour même de la fête de Saint Louis, 25 août 1298, Philippe le Bel fit procéder à la levée du corps de son aïeul. Les ossements furent mis dans une châsse d’or, que l’on plaça sur un autel bâti tout exprès. Une immense procession eut lieu à Saint-Denis. Puis la châsse fut emportée dans la basilique.

Le culte de Saint Louis se propagea et perdura jusqu’à la Révolution, après une brève éclipse pendant la Renaissance. Il était devenu le protecteur du royaume et le patron de la famille royale.

Saint-Louis Saint-Louis
Exaltation de Saint Louis, détail d'une déchirure.
Détail après rentoilage et avant réintégration picturale.
Saint-Louis Saint-Louis
Détail d'un ange. Déchirures.
Ange, détail du tableau après restauration.

Le culte de Saint Louis à Maurice 

L’Ile Maurice  n’échappa pas à la ferveur populaire du Saint, au contraire. Bien sùr, on commença par nommer le nouveau chef lieu Port-Louis, mais n’était-ce pas plutôt en raison du roi Louis XV qui régnait alors? Ou la raison la plus simple n’était-elle pas le fait que les marins nommèrent la nouvelle ville en fonction de celle homonyme du Morbihan d’où ils étaient partis ? Tout cela est hautement probable, mais ne retire rien à la ferveur réelle des Mauriciens à l’égard de ce saint.

Vitrail
Vitrail représentant Saint Louis et surplombant le chœur de la cathédrale.

Citons pour mémoire ces deux témoignages relatant le culte de la Saint Louis, en 1773 et en 1790, tels qu’ils furent rapportés récemment par la Gazette des îles de la mer des Indes dans son numéro 20 de juillet 1988:

«Mercredi  dernier (25 août) jour de Saint Louis nous avons célébré ici la fête du Roi par des réjouissances auxquelles le public a pris part avec tout l’intérêt qu’inspire à la Nation l’amour de son Prince. Cette fête fut annoncée, la veille, au coucher du soleil, par une salve de l’artillerie de la place et de la Rade. Le jour, MM. Les Chefs de l’administration se rendirent à l’Eglise paroissiale, accompagnés de Messieurs du Conseil-Supérieur et de la Juridiction Royale, de Messieurs les Officiers-Majors des troupes de la Garnison et d’un grand nombre d’Officiers tant de terre que de la Marine. Pendant la Messe, qui fut célébrée par le Préfet-Apostolique, on fit une triple salve d’artillerie et de mousqueterie. On se rendit ensuite au Gouvernement où M. le Chevalier de Ternay donna un grand dîner auquel tous les Chevaliers de l’Ordre Royal et Militaire de St. Louis, avaient été particulièrement invités. On but, suivant l’usage, à la santé du Roi, au bruit du canon qui fit une nouvelle salve. Vers les cinq heures, on se rendit à la nouvelle Salle de Spectacle, dont le public est redevable au Sieur Cotteret, amateur aussi entreprenant qu’intelligent. La Société Militaire joua la Partie de chasse d’Henri IV, drame national, précédé de L’Impromptu de campagne. Au sortir de la Comédie, les dames s’assemblèrent dans la grande salle du Gouvernement, où il y eut concert. Vers les dix heures, on tira un feu d’artifice composé avec intelligence et bien exécuté. Il y eut ensuite un grand souper, suivi d’un bal qui a duré jusqu’au jour.»

En 1790, notons simplement que les chants entonnés montrent bien envers qui ces cérémonies se trouvaient tournées: Le domine salvum fac regem («Dieu sauve le roi»).

De même que les exhortations à la foule, la messe terminée et après la bénédiction du St.Sacrement révèlent à l’évidence que le culte de la Saint Louis à cette époque, ne concernait guère le fameux Saint, mais servait plutôt à faire valoir le roi régnant:

«M. le célébrant, au pied de l’autel et tourné vers les assistants, a crié à haute voix: vive le Roi, vive la Nation, vive la Loi. Ces expressions dictées par l’amour le plus saint pour le monarque régénérateur de la liberté française, ont été répétées avec transport par tous les citoyens.» Magon de La Villebague, archives de l’Ile Maurice, Vol B2 p.37.

Il apparaît clairement que la Saint Louis était alors devenue une cérémonie en faveur du monarque régnant et non un culte rendu au Saint proprement dit. Cependant, si la récupération de cette fête par les autorités royales ne fait guère de doute, elle n’en effaça pas pour autant la ferveur populaire envers Saint Louis, sinon, comment expliquer que cette fête subsista après la prise de l’île par les Anglais…

Saint Louis Saint Louis
Statue de Saint Louis devant la cathédrale.
Statue de Saint Louis, dans la cathédrale.
On distingue clairement la fameuse couronne d'épines, rachetée à Bysance et apportée en France.

Peut-être sera-ce là l’ultime raison et non des moindres qui fit de cette fête une pratique cultuelle subsistant jusqu’à nos jours. Sans doute la Saint Louis, l’Anglais débarqué et le Gouverneur Farquhar s’étant voulu le garant et le protecteur des mœurs et coutumes des colons français, peut-être le culte de la Saint Louis se revêtit-il alors de l’aura d’une spécificité française et francophile indéniable. Toujours est-il que la Saint Louis fut toujours fêtée avec une immense ferveur. Ce jour était chômé dans toute la colonie, de grandes processions se rendaient à la cathédrale Saint Louis qui ne prit donc pas ce nom par hasard. Ce jour là, les fidèles ne trouvaient pas place dans l’édifice tellement celui-ci se trouvait trop exigu pour accepter toute la foule immense des fidèles, ce jour là au grand complet.

C’est dans ce contexte particulier que subsista ce culte à Maurice, gardant valeur de spécificité revendiquée ouvertement, ce qui, dans le vécu d’une occupation anglaise, donnait à cette fête une aura certaine. D’où l’importance de la présence du Saint au sein de cette église: une statue sur la grand-place faisant face à la façade, une autre à l’intérieur de la nef, un grand vitrail destiné aux fonds baptismaux, à gauche de l’entrée et illustrant, ni plus ni moins que le baptême du roi Louis IX, un autre vitrail au dessus du cœur, le présentant en costume de croisé, tous deux l’œuvre dans les années trente du siècle dernier, du grand vitrailleur de Mulhouse, Scherrer, enfin, last but not least, le tableau d’ Henriette Chapon, de taille imposante, qui autrefois surplombait l’une des portes latérales de l’église.

C’est donc tout un ensemble statuaire et iconographique aux raisons multiples qui décore cette cathédrale, le tableau y a une place éminente et qu’il mérite amplement.

Saint-Louis Saint-Louis
Détail du tableau en bas à droite.
Détail de la signature de l'artiste.
Saint-Louis
Détail en bas à droite du tableau après restauration.

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