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Les Saint-Aubert

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Les trente-douze mille douleurs
1920-1940

Raphaël Confiant

 

 

 

 

Les Saint-Aubert (2), Raphaël Confiant • Écriture • ISBN 9782359051278 •
2014 • 21 €.

Les trente-douze mille douleurs
1920-1940

À propos des «Les trente-douze mille douleurs» de Raphaël Confiant

Le deuxième tome de la saga de la famille Saint-Aubert, saga qui couvrira l’ensemble du XXe siècle, vient de paraître. Intitulé «Les Trente-douze mille douleurs» (éditions ECRITURE), il couvre la période allant de 1920 à 1940. Nous avons rencontré l’auteur…

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ANTILLA: D’où vous est venue cette idée de raconter l’histoire d’une famille martiniquaise, les Saint-Aubert, sur tout le XXe siècle et en découpant cette histoire en tranches de vingt années?

R. CONFIANT: Il s’agit d’une sollicitation de nombreux lecteurs et cela depuis des années. Mais je résistais à l’idée de me lancer dans ce projet car je le trouvais un peu fou et surtout nécessitant une somme de travail colossale. Jusqu’à ce que l’éditeur Jean-Daniel Belfond me relance l’an dernier et que je finisse par rédiger le tome 1, «L’En-allée du siècle» qui va de 1900 à 1920. Je devrai donc, si Allah me prête vie, rédiger 5 tomes pour couvrir tout le XXe siècle à raison de 350/400 pages pour chaque tome. Cela m’épuise déjà à l’avance! (rires)…

Oui, mais pourquoi ce découpage en vingt années, plutôt que trente ou quarante?

Périodiser un siècle n’est pas chose facile et même les historiens – dont je ne fais pas partie – ne tombent jamais d’accord sur le sujet. Moi, ce qui m’a guidé ce sont les grands événements, les événements majeurs, qui ont secoué la Martinique et en examinant bien ce XXe siècle, j’en trouvais au moins deux tous les vingt ans. Pour le tome 1, ce fut bien sûr, l’éruption de la montagne Pelée en 1902 et la guerre de 1914-18 au cours de laquelle les Martiniquais furent intégrés à l’armée française comme soldats à part entière et non comme volontaires, ce qui était le cas jusque-là.

Les deux faits majeurs de ce tome 2 sont lesquels alors?

Curieusement, ils se sont déroulés la même année: la grande grève de 1935, la marche sur Fort-de-France des travailleurs agricoles descendus de toutes les campagnes et qui ont occupé le chef-lieu pendant des jours et, à la fin de la même année, les célébrations du Tricentenaire à savoir les trois siècles de rattachement de la Martinique à la France. Bon, en janvier 1934, il y avait eu aussi un événement majeur: l’assassinat d’André Aliker, le gérant du journal communiste «Justice». Disons donc que je choisis deux ou trois événements majeurs tous les vingt ans et que je les fais voir ou vivre plutôt à travers mes personnages.

Cela demande des recherches considérables dans différents domaines: histoire, anthropologie, sociologie, linguistique, musicologie etc…puisque bien évidemment, je n’étais pas né à ces périodes-là et que je suis menacé à tout moment de commettre des anachronismes.

Venons-en à cette famille Saint-Aubert justement, famille de juristes dans le Saint-Pierre d’avant l’éruption. Pourquoi avoir choisi une famille mulâtre et pas békée, nègre ou indienne?

Cette famille n’est pas exactement «mulâtre» au sens biologique du terme puisque si le père, le chef de famille, l’avocat Ferdinand Saint-Aubert l’est, la mère, Marie-Elodie, est noire et mère au foyer. Le couple a quatre enfants de différentes complexions: Saint-Just, Tertullien, Euphrasie. En fait, je dirais que ma saga est plus celle des descendants des «hommes de couleur libres» que des «mulâtres» car l’on oublie trop souvent que ce groupe était composé à 30% de Noirs. Rappelez-vous cet épisode extraordinaire dans «Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique» du Père Labat, à la fin du XVIIè siècle, quand celui-ci veut se rendre en canot de Fort-de-France à Saint-Pierre (à l’époque il n’y avait pas la route littorale que nous connaissons aujourd’hui) et qu’il est furieux parce que le Nègre libre qui est propriétaire de ce canot refuse de lui faire un bon prix. Un homme de couleur libre pouvait donc en pleine période esclavagiste tenir tête à un Blanc! Je pense donc que la trajectoire de cette classe sociale (et je pense bien sûr à Bissette) explique bien des choses quant à la direction qu’a pris notre pays depuis l’abolition.

Pourquoi presque tous vos livres se déroulent-ils au XXe siècle et en particulier dans la première moitié de ce dernier?

En fait, plus exactement, ils se déroulent entre la fin du XIXe et les années 60 du XXè. Pourquoi? Parce que j’ai des difficultés à imaginer l’esclavage. C’est tellement immonde! Et pour le présent, notre présent du XXIè siècle, j’ai aussi du mal à le mettre en mots tellement lui aussi est immonde, mais d’une tout autre manière bien évidemment. Mon imaginaire est celui d’un homme de la première moitié du XXe siècle quand bien même je suis né dans la deuxième moitié. Je suppose que je porte l’imaginaire de mon arrière-grand-père et de mon grand-père, petits distillateurs au fin fond de Macédoine, campagne à l’époque isolée du Lorrain.

Tout autre chose : vous êtes très attaqués ces temps-ci à cause du soutien que vous apportez à la présidente de l’Université, Mme Corinne Mencé-Caster. Comment vivez-vous cela?

Je me refuse à mélanger les genres. Je suis ici en tant écrivain et pour parler de mon dernier livre. L’autre Confiant, l’universitaire, est quelqu’un d’autre. Sinon s’agissant des attaques «ad hominem», j’y suis très habitué depuis bientôt 30 ans. Si elles me touchaient, il y a longtemps que j’aurais cessé d’écrire, or j’en suis à mon 37è livre. Vous pensez que si tous ces crachats me touchaient je pourrais trouver la sérénité et la concentration nécessaires pour écrire un ouvrage de 400 pages?

Or, je publie au moins deux livres par an, parfois trois. Donc, bof!

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