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Chronique du temps présent

La fin annoncée du «compromis historique» ou

«Nou kay mété sa red anlè zot »…

Raphaël Confiant

9 Janvier 2010

Ils se pourlèchent déjà les babines, se partagent déjà postes et prébendes, prêts à se vautrer dans les délices de la Martinique d’après-Marie-Jeanne. Ils attendent avec une impatience irréfrénable le soir du 10 janvier prochain, quand la victoire du «Non», dont ils pronostiquent qu’elle sera écrasante, sera là. Palpable, mesurable, partageable en titres ronflants et mandats sonnants et trébuchants. C’est qu’ils désespéraient de pouvoir pousser Chaben vers la sortie. Sa rigueur politique, son intégrité morale, ses scores écrasants, ses 74.000 voix aux dernières régionales, les ramenaient à ce qu’ils sont: des ramasseurs de miettes. Et voilà que le miracle s’est produit! Inespéré, inattendu comme tous les miracles: un jour de novembre 2009, sur le stade de Saint-Pierre, le leader du camp indépendantiste martiniquais a annoncé qu’il se retirerait si jamais le «Non» en venait à l’emporter. Se retirer de quoi et quand? Il n’avait pas encore eu le temps de le préciser que ça sablait le champagne dans les officines assimilationnistes de Droite et de Gauche. Surtout de Gauche. Le PPM s’est vu déjà aux commandes de la Région (ou de l’assemblée unique) afin, entre autres, de combler l’abyssal déficit de la ville de Fort-de-France.

Puis, Chaben a précisé sa pensée: il se retirerait de la présidence de la Région. Quand? il ne l’a pas dit, mais on est en droit de supposer qu’il ne conduirait pas de liste aux prochaines élections régionales de mars 2010 en cas d’échec du 74. Alors là, les ramasseurs de miette et les prébendiers se sont mis à exulter, n’en croyant pas leurs yeux et leurs oreilles, car ils savent pertinemment qu’une victoire du «Non» en janvier ne signifierait absolument pas une victoire du camp assimilationniste-immobiliste deux mois plus tard aux régionales. Même le sondage qu’ils ont commandité auprès d’Open-Soft System le démontre : Marie-Jeanne raflerait quand même la mise. Or, loin de saluer l’honnêteté de Chaben, ils ont commencé à ricaner sur «le capitaine qui quitte le navire» alors qu’il faut être d’une rectitude sans faille pour refuser de rester aux commandes d’un système dont on ne veut pas, qu’on n’a eu de cesse de critiquer vertement. Chaben serait resté quand même, malgré la victoire du «Non», que ces messieurs-dames l’auraient traité d’inconséquent et de malhonnête. Il annonce qu’il s’en ira et ces mêmes personnes trouvent quand même le moyen de le critiquer!!! Des «âmes de morue» comme disait Césaire…

Le geste de Marie-Jeanne l’honore. Il ne s’est absolument pas tiré une balle dans les pieds contrairement à ce que maugréent certains dans le camp pro-74. En effet, il arrive un temps dans la carrière d’un homme politique où il doit mettre la politicaillerie de côté et se tenir debout derrière ses principes. Dans cette Martinique où la veulerie est la chose la mieux partagée, il était temps que quelqu’un mette ce peuple face à ses responsabilités. Fini le temps du compère-lapinisme! Du double jeu. Du double vote: du je-vote-pour-toi-parce-que-tu-ne-t’enrichis-pas-avec-l’argent-public à telle élection et du je-ne-vote-pas-pour-toi-parce-que-je-veux-rester-fouançais-jusqu’à-vitam-aeternam à telle autre élection. Basta! Le peuple martiniquais est appelé à prendre ses responsabilités le 10 janvier prochain, qu’il les prenne! Point barre. Les indépendantistes ont joué le jeu. Ils ont passé, nous avons passé, un «compromis historique» avec certains autonomistes pour faire avancer ce pays de quelques mètres. Nous avons accepté de mettre nos principales revendications en sourdine. Nous nous sommes pliés aux règles du droit électoral français. Nous avons respectueusement écouté les propos du président de la 5è puissance mondiale. Nous n’avons pas poussé à la roue quand la Martinique entière était bloquée en février 2009.

Oui, cela s’appelle un «compromis historique».

Mais, le 11 janvier au matin, vous regretterez Marie-Jeanne, messieurs les assimilationnistes-immobilistes. Vous regretterez son sens du dialogue malgré une certaine rigidité verbale, vous regretterez son ouverture (pacte de Basse-Terre avec Micheaux-Chevry et Karam, alliance informelle à la Région avec «Osons oser», alliance politique avec le CNCP etc.), vous regretterez le seul homme qui aurait pu sortir la Martinique «hors des jours étrangers» sans larmes ni violences. Et pourquoi? Je vous le dis en créole parce que le français est trop mou pour cela: «Nou kay mété sa red anlè zot atjelman!». Au lendemain du 10 janvier, quand chacun constatera l’échec du compromis historique et que chacun regagnera sa chacunière, comme disent les Québécois, le moment sera venu de relancer la revendication indépendantiste sans concession. Je le dis bien: sans concession. De toute façon, Chaben disparu de la scène politique, les indépendantistes de tous bords n’auront qu’un choix et un seul: s’unir dans un Front Patriotique Martiniquais ou disparaître.

Oui, disparaître à jamais.

Si donc le «Non» l’emportait le 10 janvier prochain, il faudra sans délai ni tergiversations ni discutailleries une réunion de crise du camp indépendantiste, toutes tendances confondues, pour construire au plus vite ce Front Patriotique Martiniquais et surtout définir des actions concrètes afin de reprendre la lutte pour notre émancipation totale. Nous nous sommes, compromis historique oblige, laisser un peu endormir ces dernières années, abandonnant le terrain aux Trotskystes: nous avons dirigé des municipalités ou siégé dans ses conseils municipaux, nous avons dirigé la Région, nous avons occupé des postes de parlementaires, bref nous avons joué le jeu de la démocratie française. Force est de constater que cela n’aura servi à rien. Absolument à rien: la caldochisation de notre pays est en marche accélérée. Nous sommes en passe d’être dissous en tant que peuple. Seul un sursaut du camp patriotique – uni au sein d’un front, j’insiste! – pourrait contrer cette évolution mortifère.

Il est temps que «nou rikoumansé mété sa red anlè yo!».

Désormais, il ne faudra plus que nous acceptions plus que des militants écologistes soient condamnés parce qu’ils ont rétabli la libre circulation sur le littoral martiniquais. Que la police et la justice françaises agissent comme bon leur semblent au mépris des droits élémentaires des Martiniquais. Que dans nos écoles maternelles et primaires, les non-Martiniquais soient majoritaires. Que nos terres agricoles soient bradées et notre paysage laminé par des constructions nées d’une défiscalisation qui profite essentiellement à de riches étrangers. Que les empoisonneurs au chlordécone ne rendent pas des comptes pour les forfaits qu’ils ont commis durant trente ans. Que nos jeunes diplômés Bac + 5 et Bac + 6 finissent à l’ANPE.

Non, nous n’accepterons plus rien…

Nou kay mété sa red anlè zot ! Et, sachez-le, ça ne sera pas pour réclamer 200 euros…

Raphaël Confiant

 Viré monté