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Regards croisés

Du Tous créoles au Tout-Monde

Djemâa Chraïti

Ni Renaudot, ni Goncourt mais mieux encore, avec tout le sang dont les lecteurs semblent raffoler, celui des esclaves transportés par millions dans des cales et dont le 20% n’arrivait pas à destination, Marie-Andrée Ciprut, franco-suisse originaire de la Martinique, nous offre dans ses deux ouvrages Outre Mère, essai sur le métissage et Un Racisme en Noir(e) et Blanc(he), une fresque saisissante de l’origine de l’identité antillaise avec son corollaire l’identité créole, creuset de diversités, de peuplements, de couleurs de peau, de langues, de croyances, à l’image du monde, du «Tout-Monde» en devenir. 

Par sa représentation symbolique très forte du banian, elle nous invite à nous imaginer en arbre centenaire dont les radicelles retombent dans la terre nourricière, puis remontent à la lumière en s’appuyant sur l’horizontalité de ses branches. Une dynamique constante opposée à l’idée d’enfermement, de nationalisme, d’incitation à la haine et à l’exclusion.

 Marie-Andrée Ciprut s’appuie sur le grand penseur martiniquais Edouard Glissant pour qui «les banians crépitent en rhizomes dans l’espace du monde», qui à son tour emprunte cette métaphore à G. Deleuze. Chacun peut nourrir son identité banian de ses différents lieux d’existence, bannissant les frontières: «agis dans ton lieu, pense avec le monde» disait Glissant. Elle analyse la formation de l’identité créole à partir d’une liste  d'une palpitante diversité, telles les variations de couleurs, de sons, de mélanges culturels infinis qui remontent jusqu’à la présence des Arawaks, amérindiens établis sur l’archipel quatre millénaires B.P, sans compter la faille traumatique de l’esclavage. Elle nous brosse ensuite un tableau saisissant qui, tel un cyclone, balaie tous les préjugés, les décortiquant systématiquement en sa qualité d’ethno thérapeute, co-fondatrice en 1995 et ancienne responsable clinique de l’Association «Pluriels» à Genève.

En l’écoutant parler tandis qu’elle dépiaute avec délicatesse sa tarte au chocolat avec un art aussi raffiné qu’elle a de déconstruire les mythes et les mensonges mis en exergue dans son œuvre Un Racisme en Noir(e) et Blanc(he), elle offre une perspective de cohabitation intéressante: en réalité, rencontrer l’Autre qui est différent n’est pas, à son tour, devenir aussi étrangement différent, ni un Autre qui se perd. La rencontre nous enrichit en même temps que cet Autre qui nous interpelle dans notre zone de confort, tissée d’habitudes, de non-confrontation, parfois de rejet et d’exclusion, entrainant un repli sur soi, un enfermement pouvant aller jusqu’à la déshumanisation.

Avec Edouard Glissant et Marie-Andrée Ciprut, nous réalisons, que nous le voulions ou non, que grâce à la facilité des échanges, la diversité et la mobilité humaine, nous sommes tous engagés dans un processus relationnel de créolisation, processus ininterrompu, «expérience progressive du diversel dans un Tout-Monde où la mondialité serait en opposition humaniste à la mondialisation économique.» 

Un souffle nouveau ou un cyclone qui nous amène sur des rives nouvelles qui nous paraissent étranges et effrayantes! Notre monde ressemble à ces rivages d’antan ayant recueilli par vagues successives tous ces peuples différents d’aujourd’hui, pour alimenter un seul creuset où chacun deviendrait un banian solaire puisant dans cette terre nourricière, qui le projette encore et encore dans la lumière, à l'aube d’une humanité revisitée.

Ni Renaudot, ni Goncourt, mais mieux encore, merci à Marie-Andrée Ciprut de participer à l’élargissement de nos horizons et sentir l’alizé balayer nos anciennes peurs!

A lire: le livre à deux voix, celle de Marie-Andrée Ciprut pour le racisme en Noir (e) et celle feue Franca Ongarelli Loup pour le racisme en Blanc(he).

Et à écouter l'interview audio produite par Djemâa Chraïti et réalisé par Andrey Art/Interview D. Chraïti.

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