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Hommage de la France à Jean Bernabé

Thierry Caille

Jean Bernabé

Et maintenant, voici venu le temps  de chuter, étoile encore vive, du haut des mondes barbares et des temps-moudongres, inachevés. Puis tout ébouriffé, avancer doucement, très doucement, parmi les embruns de la terre, notre terre, à l'humus si fragile, me dit-on.

Jean Bernabé

 

Il est très prétentieux de parler au nom de la France pour plusieurs raisons. Nous avons nos voix officielles d'une part, graves mais souvent creuses et surtout cacophoniques. Mais peu importe qu'elles sonnent comme de vieilles crécelles. Ensuite ces voix de la France s'attachent, surtout aux hommages posthumes car il est à peu près certain que l'illustre défunt n'aura pas la possibilité d'infléchir des propos souvent flatteurs et surtout calculés. Nous avons nos grands hommes comme partout mais nous les préférons décédés. Imaginons qu'ils s'expriment, l'effet serait dissipé et certainement contre-productif.

Un seul exemple: l'ignominie de l'hommage rendu à l'Assemblée Nationale par notre premier ministre de l'heure à Aimé Césaire. L'étude de ce texte portait ces noms: profanation de mémoire, imposture, négation de la vie d'un homme et appropriation de cette vie au service du sentiment national français, lequel, il est vrai trouve peu de fastes nourritures aujourd'hui. Si «le vieux», terme affectueux, s'était trouvé dans l'hémicycle, avec 20 ans de moins, vif, il est assez probable qu'il eût envoyé notre solennel premier ministre, par quelques élégances orales voire un coup de gueule savant, à un silence penaud.

Alors le gueux que je suis, sans pouvoir et sans hypocrisie s'arroge, sans gêne, le droit de rendre hommage à Jean Bernabé au nom de la France, lequel n'est d'ailleurs pas mort et pourrait répondre et lequel n'est pas réellement connu en France par le vulgum peccus.

L'hommage lui fut rendu dans son pays, la Martinique, autant pour son action envers la langue créole qu'il remplit à l'Université car l'homme était et reste un brillant intellectuel, tout cousu des plus grands diplômes, autant par le fait qu'il se dévoua, sa vie durant et avec hauteur à la cause martiniquaise, faisant évoluer celle-ci, avec quelques autres, bien sûr, dans la modernité de la pensée politique.

N'attendez pas de moi que je développe la première assertion. Ayant vécu à la Martinique assez longtemps, je n'ai retenu du créole que quelques formules de politesse et quelques cochoncetés, mais je connais ses titres de gloire au service de cette langue qu'il a contribué à servir et à figer dans le marbre et dans les mémoires. Il est à ce titre un exemple à méditer et à suivre; il a créé tant de choses irréversibles donnant longévité et lettres de noblesse au créole qu'il faut savoir que chaque jour des centaines de langues disparaissent, faute d'absence d'un Jean Bernabé.

Alors je ne dirai que peu de choses qui m'ont marqué car, toutefois, je l'ai rencontré deux fois. À l'instar des intellectuels brillants et modestes, il a fait part d'une grande humilité, celle des grands hommes. Mais bien plus, dans les mois derniers où la Martinique s'échauffait et les martiniquais avec, lui, qui finalement écrivait assez peu, a donné sur une dizaine de textes, une analyse et une leçon pertinentes de haute et noble politique, toujours dans le calme, au dessus des échauffourées. Et c'est probablement ce qui éclaire et que l'on doit retenir. Grand serviteur de la cause créole, son action ne fut pas strictement largo lamentoso. Puisse-t-on le reconnaître et le saluer comme il le faut. La Martinique a toujours été un vivier d'êtres brillants et engagés. Il est dans cette lignée et il n'est pas le seul. Et que l'on ne vienne pas nous l'ajouter à quelque gloire française. Les grands esprits n'ont d'ailleurs aucune frontière et n'appartiennent qu'à la pure intelligence. De cela la jeunesse martiniquaise doit s'inspirer. Et par pitié se soustraire à l'oubli dans une vie indolente et faite de plaisirs car seul le travail élève l'homme, l'engagement.

Je souhaite à Monsieur Jean Bernabé une retraite longue, heureuse car méritée. Je sais que cet engagement continuera. Je souhaite simplement lui offrir cette musique mélancolique de son pays:

Il est de coutume de dire, pour vous, honneur et respect, mais je voudrais ajouter, honneur aux services rendus à la patrie et respect de la dignité d'un grand martiniquais, Jean Bernabé, qui fut littéralement un bailleur d'étincelle...

boule

 Viré monté