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Trajédi Rwa Kristof

Théatre

Aimé Césaire

Caraïbéditions

Trajédi Rwa Kristof

Avant-propos

Caraïbéditions est très fière de sortir en librairie la première œuvre d’Aimé Césaire traduite en créole. Plusieurs livres du «chantre de la négritude» ont fait l’objet de traductions dans le milieu universitaire, mais ces dernières n’ont jamais été publiées.

Pour un tel projet, il nous semblait important de traduire un livre accessible au plus grand nombre et ayant fortement marqué la carrière littéraire d’Aimé Césaire. Il était également important, afin de faire avancer la cause du créole, de choisir parmi toutes les publications de l’auteur, un ouvrage qui traite de la Caraïbe plus que du continent africain qui a beaucoup été traité dans l’oeuvre d’Aimé Césaire.

«La Tragédie du roi Christophe» a ainsi été retenue et il est vite apparu au traducteur que ce projet devenait une évidence tant Aimé Césaire, s’il avait écrit cette pièce en français, l’avait d’abord pensée en créole. Au fur et à mesure du travail du traducteur, il est apparu ainsi que les paroles des personnages de la pièce retrouvaient la couleur créole qui leur était constamment sous-jacente dans l’original français, donnant, par la même, une seconde vie aux protagonistes de la «Trajédi Rwa Kristof».

Cet ouvrage en créole vient compléter la collection de Caraïbéditions qui se veut republier des oeuvres d’auteurs antillais célèbres qu’on ne trouve pas ou plus en librairie - et même en bibliothèque, parfois - depuis des années.

Biographie de l'auteur

Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais, est né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe et mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France.

Fondateur du mouvement littéraire de la négritude et anticolonialiste résolu, Aimé Césaire figure au panthéon des auteurs français. Issu d’une famille de sept enfants, Aimé Césaire fréquente l’école primaire de Basse-Pointe, puis obtient une bourse pour le lycée Victor Schœlcher à Fort-de-France, avant de rejoindre Paris pour entrer en classe d’hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand où il fera l’une des plus grandes rencontres de sa vie: Léopold Sédar Senghor.

Au contact des jeunes africains étudiant à Paris, notamment lors des rencontres au salon littéraire de Paulette Nardal, Aimé Césaire et son ami guyanais Léon Gontran Damas, qu’il connaît depuis la Martinique, découvrent progressivement une part refoulée de leur identité, la composante africaine, victime de l’aliénation culturelle caractérisant les sociétés coloniales de Martinique et de Guyane.

Aimé Césaire

En septembre 1934, Césaire fonde, avec d’autres étudiants antillo-guyanais et africains (parmi lesquels Léon Gontran Damas, le Guadeloupéen Guy Tirolien, les Sénégalais Léopold Sédar Senghor et Birago Diop), le journal L’Étudiant noir. C’est dans les pages de cette revue qu’apparaîtra pour la première fois le terme de «Négritude».

Pour Césaire, la Négritude est un humanisme actif et concret, à destination de tous les opprimés de la planète. Aimé Césaire, agrégé de lettres, rentre en Martinique en 1939, pour enseigner, tout comme son épouse, Suzanne Roussi, au lycée Schœlcher. Césaire ramène dans ses bagages son premier ouvrage, Le Cahier d’un retour au pays natal, qui va connaître un immense succès. Le couple Césaire, épaulé par d’autres intellectuels martiniquais comme René Ménil, Georges Gratiant et Aristide Maugée, fonde en 1941 la revue Tropiques. En pleine Seconde Guerre mondiale le blocus de la Martinique par les États-Unis et le régime instauré par l’Amiral Robert, envoyé spécial du gouvernement de Vichy, est répressif. Dans ce contexte, la censure vise directement la revue Tropiques, qui paraîtra, avec difficulté, jusqu’en 1943. Le passage en Martinique du poète surréaliste André Breton et sa rencontre avec Aimé Césaire vont bouleverser l’ordre des choses. Breton découvre la poésie de Césaire à travers le Cahier d’un retour au pays natal et le rencontre en 1941. En 1943 il rédige la préface de l’édition bilingue du Cahier d’un retour au pays natal, publiée dans la revue Fontaine (n° 35) dirigée par Max-Pol Fouchet et en 1944 celle du recueil Les Armes miraculeuses, qui marque le ralliement de Césaire au surréalisme.

En 1945, Aimé Césaire, coopté par les élites communistes qui voient en lui le symbole d’un renouveau, est élu maire de Fort-de-France. Dans la foulée, il est également élu député, mandat qu’il conservera sans interruption jusqu’en 1993. En 1946, jeune député, Césaire obtient la départementalisation de la Martinique, vieille revendication d’avantguerre.

Un statut qui, selon Césaire, devrait aider la Martinique à lutter contre l’emprise béké sur la politique, son clientélisme, sa corruption et le conservatisme structurel qui s’y attache. En 1950, il publie le Discours sur le colonialisme, où il met en exergue l’étroite parenté qui existe selon lui entre nazisme et colonialisme.

S’opposant au Parti communiste français sur la question de la déstalinisation, Aimé Césaire quitte le PC en 1956, s’inscrit au Parti du regroupement africain et des fédéralistes, puis fonde deux ans plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM), au sein duquel il va revendiquer l’autonomie de la Martinique. Aimé Césaire restera maire de Fort-de-France jusqu’en 2001.

Son Discours du colonialisme fut pour la première fois au programme du baccalauréat littéraire français en 1994, avec le Cahier d’un retour au pays natal. Aimé Césaire s’est retiré de la vie politique mais est resté un personnage incontournable de l’histoire martiniquaise jusqu’à sa mort.

Le 9 avril 2008, Césaire est hospitalisé au CHU Pierre Zobda Quitman de Fort-de-France pour des problèmes cardiaques. Son état de santé s’y aggrave et il décède le 17 avril 2008 au matin. Des obsèques nationales ont été célébrées le 20 avril 2008 à Fort-de-France, en présence du chef de l’État.

Œuvres

1939 Cahier d’un retour au pays natal, Revue Volontés n°20, 1939, Pierre Bordas 1947, Présence africaine, Paris, 1956.
1946 Les Armes miraculeuses, 1946, Gallimard, Paris, 1970.
1947 Soleil cou coupé, 1947, Éditions K., Paris, 1948.
1950 Corps perdu (gravures de Picasso), Éditions Fragrance, Paris, 1950.
1960 Ferrements, Seuil, Paris, 1960, 1991.
1961 Cadastre, Seuil, Paris, 1961.
1976 Œuvres complètes (trois volumes), Desormeaux, Fort-de-France, 1976.

Poésie

1982 Moi, laminaire, Seuil, Paris, 1982.
1994 La Poésie, Seuil, Paris, 1994. (Ce volume, qui compile toute l’oeuvre poétique de l’auteur, figure au programme de l’agrégation de lettres modernes de 2009 à 2011, au sein du thème de littérature comparée intitulé «Permanence de la poésie épique au XXe siècle»).
2010 Sept poèmes reniés suivi de La Voix de la Martinique, édition bibliophilique (David Alliot Éditeur), Paris, 2010.

Théâtre

1958 Et les chiens se taisaient, Présence Africaine, Paris, 1958, 1997.
1963 La Tragédie du roi Christophe, Présence Africaine, Paris, 1963, 1993.
Une saison au Congo, Seuil, Paris, 1966, 2001.
1969 Une Tempête, d’après La Tempête de William Shakespeare : adaptation pour un théâtre nègre, Seuil, Paris, 1969, 1997.

Essais

1948 Esclavage et colonisation, Presses Universitaires de France, Paris, 1948, réédition : Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage, Éditions Le Capucin, Lectoure, 2004.
1950 Discours sur le colonialisme, éditions Réclames, Paris, 1950 ; éditions Présence africaine, 1955.
1987 Discours sur la négritude, 1987, Paris ; Présence Africaine, 2004 (avec le Discours sur le colonialisme).

Histoire

1962 Toussaint Louverture, La révolution Française et le problème colonial, Présence Africaine, Paris.

Entretiens

2004 Rencontre avec un nègre fondamental, Entretiens avec Patrice Louis, Arléa, Paris.
2005 Nègre je suis, nègre je resterai, Entretiens avec Françoise Vergès, Albin Michel, Paris.

Enregistrement audio

1994 Aimé Césaire, Hatier, Paris, Les Voix de l’écriture.

Biographie du traducteur

Journaliste - auteur Rodolf Etienne a publié «Lézenn» (Editions Le Serpent à Plumes. 2005), traduction créole de «Les Indes»; et «Misié Toussaint» (Presses Nationales d’Haïti. 2008), traduction créole de «Monsieur Toussaint», tous deux textes signés d’Edouard Glissant.

Coordinateur Caraïbe de l’Organisation Internationale des Peuples Créoles (IOCP), Rodolf Etienne défend la notion de «Pan-créolité ou identité créole internationale». Il a participé à plusieurs festivals: Mois Créole de Montréal, Festival Créole de Menton, Festival International Créole de Maurice, Festival International Créole de Rodrigues ainsi que des rencontres créoles en Guadeloupe, Dominique et Martinique.

Entrevue du traducteur

Rodolf Etienne: «Pour moi, cela a été une traduction très enrichissante...»

Traduire Césaire en créole, cela relève du défi. Pourquoi une telle initiative ?

Traduire Césaire en créole et faire publier l’ouvrage est effectivement un défi. D’autant plus qu’il s’agit là de la première traduction créole de l’une des œuvres de Césaire. La rumeur a longtemps couru d’un Césaire très loin des réalités créoles. Il s’avère qu’il n’en est rien. Tropiques, par exemple, dès 1941, montre un Césaire très au fait des interrogations créoles. Cette traduction, qui avait d’ailleurs reçu son accord, est là pour prouver que sa littérature est très proche de la langue créole. Le créole habite l’oeuvre de Césaire. Cette traduction a pour premier objectif d’en rendre compte.

Vous dites que la langue de Césaire est très proche du créole. Pouvez-vous nous expliquer?

Ce travail de traduction a donné lieu de ma part à une recherche très poussée de la syntaxe césairienne. Incontestablement, cette syntaxe a maille à partir avec le bagage culturel et langagier qu’Aimé Césaire a côtoyé durant les premières périodes de sa vie. Césaire vivait sur une habitation et était immergé dans un environnement créole. Ses parents, instruits par rapport au reste de la population, n’en étaient pas moins créolophones. Ce bagage, on le retrouvera dans l’œuvre du Chantre, insidieusement. Le créole, dans l’œuvre générale de Césaire, et certainement de manière plus évidente encore dans La tragédie, est sous-jacent. Il est présent constamment et de nombreuses études le prouvent. Césaire lui-même disait: «j’ai voulu donner au français la couleur du créole». On ne peut être plus explicite.

La Tragédie du roi Christophe revient sur un évènement politique majeur de la région Caraïbe. Cela a-t-il influencé votre choix pour cet ouvrage en particulier?

Certainement. Avec La Tragédie, Césaire nous propose une pièce de théâtre inspirée toujours du théâtre shakespearien, qui nous plonge en Haïti, après la révolution de 1791, durant le règne de Christophe. Christophe est un despote, un roi fou qui contraint son peuple. Mais au-delà de cette structure, la pièce est un plaidoyer en faveur des droits de l’homme et une mise en garde contre les dérives du pouvoir. On y retrouve tous les traits de la littérature et de la pensée césairienne où histoire, moralité et génie se côtoient. Le peuple haïtien, dans ce cas, n’est plus oppressé par le régime esclavagiste, mais par son propre leader, ancien libérateur. Il y a là, de la part de Césaire, une sacrée leçon: la négritude est un véritable humanisme et non pas seulement un cri de nègre en colère. Il y a une véritable réflexion d’homme face au monde et même au monde noir, n’hésitant pas à manifester ses dérives. Ce texte est d’une extrême lucidité, tant littéraire que philosophique. C’est surtout cela qui a dirigé mon choix.

On sait que le créole pèche parfois du côté du vocabulaire littéraire. Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour cette traduction?

Cette traduction a été pour moi un véritable plaisir intellectuel. Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières. Bien au contraire, c’était comme si le texte avait été pensé en créole par l’auteur. Dès lors le travail du traducteur en a été facilité. Et cela a été pour moi une révélation. En dépit de la pertinence du texte français (rendons à Césaire ce qui lui appartient), c’était comme s’il était «habité» par la langue créole. Ce qui, d’ailleurs, contribue à sa dimension magistrale. En fait, j’ai plutôt eu le sentiment d’être un révélateur. Vous savez, en dehors des petites connotations personnelles de style, c’était comme si le texte créole que j’écrivais émanait véritablement du texte césairien. Pour moi, cela a été une traduction très enrichissante, et même au niveau humain, qui m’inspire tous les jours. J’appréhende mieux la notion de négritude, qui je le rappelle, pour Césaire, est un véritable «humanisme nègre», une vision du monde par le prisme des valeurs nègres qui finalement rejoignent les valeurs universelles.

boule

 Viré monté