Potomitan

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Hommage à Walcott

Ernest Pépin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On ne présente pas un poète. On ouvre le passage devant sa parole pour que les mots deviennent les lucioles de l’imaginaire.

On ne présente pas un Prix Nobel de littérature sauf à rappeler qu’ici fut aussi terre de naissance et de création d’un autre Prix Nobel: Saint-John Perse.

Nous accueillons aujourd’hui Dérek Walcott, ce voisin de Sainte-Lucie dont les mornes épaulent les nôtres d’un même élan de mer démarré et d’un même éclat de langue créole.

Nous accueillons un poète, Prix Nobel dont la parole charroie l’écho de nos histoires communes, de nos racines multiples, de notre ouverture consentie au monde, de nos écarts et de nos dérives par rapport aux figures ancestrales de l’Europe et de l’Afrique.

Un homme qui a écrit :

«Je ne suis qu’un nègre rouge qui aime la mer,
J’ai reçu une solide éducation coloniale,
J’ai du Hollandais en moi, du nègre, et de l’Anglais,
Et soit je ne suis personne, soit je suis une nation.»

Peut-on imaginer plus belle carte d’identité que celle-là?

Nous devinons tout de suite l’importance accordée à la volonté de s’assumer, par-delà les exclusions meurtrières, comme un être composite embrassant d’un même tenant les cheminements historiques et les lumières révélatrices d’une géographie qui nous a donné en héritage les fragments boursouflées des îles de la Caraïbe, et les métamorphoses des mers hantées par les courants des métissages.

C’est de là que va surgir cette parole unique, inclassable, éminemment poétique, qui sait renouer avec les richesses de l’image et de la métaphore en un dit créole plein de l’énergie du monde et de la vie.

Le royaume du fruit étoilé et Heureux le voyageur en furent les éblouissantes manifestations.

Comment en serait-il autrement lorsqu’on sait que Derek Walcott, né à Sainte-Lucie, a étudié à l’Université des West-Indies à Kingston en Jamaïque, a été journaliste, écrivain et metteur en scène à Trinidad, avant d’aller enseigner à l’Université de Boston.

Pourtant rien ne serait plus dangereux que d’enfermer Walcott dans ce qu’il appelle lui-même: «la voix des personnes de la Caraïbe.»

Il est bien au-delà, dans cet espace où seule règne l’écriture comme une fusée salvatrice.

Il est dans cette poésie qui est la sueur de la perfection et qui doit sembler aussi fraîche que les gouttes de pluie sur le front d’une statue.

Il est dans cette quête obstinée à explorer les mondes du monde et à déterrer, sous la croûte des évidences, la langue neuve de la diversité.

Derek Walcott a dit Joseph Brodsky vient d’une «Babel génétique». Et c’est de là qu’il nous parle avec la conscience sereine des tourments de ses héritages.

D’où chez lui le goût des remontées fantastiques et des errances fondatrices. Je pense à Omeros.

Il y a le O qui est, par essence, une espèce d’invocation naturelle contenue dans une coquille marine, cela s’entend. Il y a ensuite, la (mer) qui signifie à la fois mère et océan en créole des Antilles. Il y a le (Os) qui fait allusion, d’une manière tranchante, à la vague blanche qui vient, dans un mouvement perpétuel, se briser sur le rivage.

L’explication est de Dérek Walcott !

Il y a aussi le quotidien visité par l’extraordinaire de l’épopée.

Il y a une poésie qui refuse d’assassiner la langue mais qui en fait une alliée de l’humain.

C’est en alliance que va Derek Walcott. Il faut lire Café Martinique (What the Twilight Says)

«L’art antillais c’est la restauration de nos histoires fracassées, et de nos esquilles de vocabulaire, et l’archipel devient la métaphore de ces morceaux épars qui, ayant un jour rompu leurs amarres, ont dérivé loin de leur continent d’origine.»

Cette alliance qui rassemble en une même démarche Pissaro et Walcott dans Le chien de Tiepolo.

Une alliance qui dicte ceci:

Nos ancêtres eux-mêmes ont été complices, nous ne pouvons plus nous venger sur personne. C’est cette honte là qui nous déchire…

Avec Walcott la poésie ou le théâtre ne sont pas des pansements sur des blessures, ils convertissent la blessure en lumière de la conscience humaine et en générosité du vivre.

Ernest Pépin

La Ramée

Habitation La Ramée, Sainte-Rose, Guadeloupe. Photo F. Palli.

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