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Pointe-à-Pitre

Ernest Pépin

Pointe-à-Pitre

Pointe-à-Pitre. Photo F.Palli.

Coincée entre la mer et les communes avoisinantes, Pointe-à-Pitre cherche son âme entre tradition et modernité. Cette capitale économique de la Guadeloupe a connu de nombreuses évolutions. Ville-port, ville-usine, ville-faubourg, ville-coloniale aux bâtiments raidis dans leur orgueil, Pointe-à-Pitre offre de nombreuses strates. Il suffit de commencer par la Place de la Victoire. Place historique, à l’ombre des sabliers séculaires, non loin de la Darse où la mer se souvient des caboteurs qui reliaient Marie-Galante à la Guadeloupe.

cinéma Renaissance

Cinéma Renaissance. Photo F.Palli.

Place centrale agitée autrefois par des fièvres de carnaval, des exploits de sportifs, des débats de «sénateurs», des bagarres homériques, des émeutes meurtrières. Le soir venu, les cris des marchandes de pistaches retentissaient devant le cinéma Renaissance dont la façade baroque défie encore le temps. Aujourd’hui, la Place a fait peau neuve. Elle s’est calmée et les passants la traversent sans faire attention aux terrasses des restaurants, sans admirer les magnifiques architectures qui préservent sa splendeur passée: la Sous-préfecture, l’ancien Presbytère. Elle s’éveille, la Place, pour accueillir chaque année un festival de jazz. Un petit kiosque rappelle qu’elle fut toujours musique.

Kiosque

Kiosque, Place de la Victoire. Photo F.Palli.

Et juste en face, le marché aux poissons brille de toutes ses écailles dans une surprenante fête des couleurs. Les vendeurs dont l’un s’est baptisé Barracuda, rivalisent de jeux de mots, de phrases lancées pour attirer la clientèle et même quelques pélicans succombent à leurs appels.

 

Marché du poisson à Pointe-à-Pitre

Marché du poisson à Pointe-à-Pitre.  Photo F.Palli.

C’est de la Place que part l’énergie de la ville. Elle déborde à la rue Frébault en une coulée incessante. Ici les bijouteries, les magasins de tissus, de chaussures, de vêtements, avalent des femmes moulées dans des jeans impitoyables. Les trottoirs vibrent et vivent. La jeunesse a pris le pouvoir. Vêtue de bagguy, de T-shirt, de pantalons à taille basse d’où s’échappent des tatouages, elle s’agglutine ou déambule en roulant des épaules souples. Les jeunes marchent comme ils dansent, en rebonds élastiques qu’accentuent les chaussures de sport. Ils balancent leurs bras et semblent défier la vie. Ils mettent toute leur fantaisie dans des coiffures insolentes, affirment des métissages, brandissent des négritudes, épousent des libertés. Des ferreurs de chaussures, des haïtiennes tendant, à la sauvette des serviettes, des petites échoppes font des trottoirs le théâtre de la survie. Force cependant reste aux syriens, aux libanais, aux italiens qui, venus au début du XXème siècle, ont fait souche. Autrefois seigneurs du commerce, ils vacillent maintenant sous les coups de boutoirs des hypermarchés et de la zone «industrielle» de Jarry. Peu de noirs ont pignon sur la rue Frébault. Elle traverse la vieille ville comme une blessure ancienne, s’arrête au marché aux épices et poursuit sa course vers la mer. C’est une vieille dame alerte que Noël illumine. Une vieille dame peureuse qui se ferme la nuit. Une vieille dame qui refuse de mourir car elle sait qu’elle porte Pointe-à-Pitre sur ses maigres épaules.

Mais la ville sait danser et chanter. Le samedi à la rue piétonne, à côté de la statue de Vélo, non loin du Musée Saint-John Perse, tout près du marché central, la culture populaire réclame son dû. Les tambours s’enflamment dans un grand charroi de rythmes venus des plantations. Le Gwoka explose et sous les mains des virtuoses jaillissent les étincelles d’une révolte culturelle. Tambour d’antan, jamais las de frapper à la porte de la liberté. Tambour d’aujourd’hui gardien de l’âme rebelle en solo d’insolence et en voltige de cadences. Une autre ville troue l’aliénation et les pas des danseurs enracinent la présence des ancêtres africains. En dépit des mirages de la consommation, la rue piétonne pousse son cri de résistance. Ce que l’on prend pour un attroupement est un consentement, une force sonore, une jouissance de soi. A l’unisson des tambours, les couleurs de Joël Nankin. Cet artiste-peintre, membre fondateur d’Akiyo, a choisi de peindre des T-Shirts dans la rue. Il se veut à la fois pédagogue et initiateur d’un autre rapport à l’art. Son pinceau chante, vole un morceau de soleil, cadence un imaginaire, restitue une dignité. Nankin traduit le discours du gwoka en griffures de rêve collectif. Autour de lui, des marchands ambulants sortent toute une mémoire de jus frais. Dans l’espace étriqué de la rue piétonne s’envole l’âme d’une Guadeloupe fière de ses richesses.

La ville s’évade vers le Bas-de-la-source,  la rue Raspail, le Carénage. Tout un quartier populaire où la vie ne s’arrête jamais. De petits restaurants où l’on sert du court-bouillon, du riz et des pois rouges, des ignames, apaisent la faim. Des épiceries ont remplacé les «lolos» et l’on voit les travaux féroces d’une ville qui fait sa mue en rasant la friche industrielle de Darboussier. Depuis longtemps l’usine ne fume plus et pourtant sa mémoire plane sur le quartier. Ici logeaient les ouvriers venus de Marie-Galante. Là, vivaient des messieurs comme-il-faut. Et tout au bout, des prostituées assises remuent des paroles douces. Elles ont l’air de femmes paisibles engluées dans le temps et leurs yeux sont remplis de nostalgie. Elles viennent, pour la plupart, de la République Dominicaine et l’espagnol grésille sous leur langue. Elles font corps avec la rue en attendant la fièvre du soir quand la musique caribéenne échauffe les sens comme le feu d’un rhum sec. La rue Raspail a ses célébrités. Roger Bambuck, ancien champion du monde du 100 mètres, ex-ministre des sports y est né. Julien Mérion, universitaire dont le domicile marie tradition et art. Certaines familles ont sombré en laissant derrière elles des maisons fantômes. Par contre, les Forbin maintiennent la tradition du carénage. De grand-père en petit-fils, d’oncles en neveux, ils construisent des bateaux et participent à des courses. Une chanson rend hommage a «Angélina» l’imbattable. Les chantiers sentent la peinture et un canot en bois verni fait la fierté du maître des lieux. Non loin, un restaurant pied dans l’eau accueille la bonne humeur des clients. Tout le monde se connaît ! Chacun prépare son punch selon son goût et la marina aligne ses bateaux comme autant de rêves. On semble si loin du dernier lolo de Chemin neuf. Un univers un peu sombre, plein de petits riens pour dépanner le jour. Dans le regard sans âge du propriétaire toute la détresse d’un temps moribond. Et tout devant, quelques hommes oisifs échangent des souvenirs en portant le masque d’une fausse gaîté.

Tout le contraire de l’enthousiasme de Monsieur Gauthierot, un ancien boxeur devenu coiffeur. Dans son salon on refait le monde et des morceaux de Guadeloupe débattent et s’affrontent. Il dit, d’une voix douce, sa vérité: «le Guadeloupéen boxe comme il danse et si on l’oblige à pratiquer une boxe statique il est sûr d’être vaincu.» Il faut comprendre qu’il s’agit d’un peuple contrarié par des logiques occidentales. Elle n’a pas changé la Rue Vatable! C’est la rue des coiffeurs! Des façades ont fermé leurs paupières, parfois elles sont tagguées et d’autres fois la végétation les recouvre avec des gestes de pieuvre. Elle vivote à l’ombre du passé avant de se jeter «en bas voute là». Un petit tunnel obscur et moite où l’on rôde tout l’indicible d’une ville pleine d’angoisse survoltée. C’est pour vaincre cela que les jeunes de Fonds-Laugier ont fait du carnaval leur drapeau. Ils s’entrainent dans un ancien château d’eau et la voix de Coquerel, belle comme un galet qui roule, chante leurs révoltes et leurs frénésies. Et c’est peut-être cela l’âme de Pointe-à-Pitre, non pas des lieux épars et qui se contredisent mais de fortes personnalités qui sont des monuments comme cette super mamy qui vient vendre ses fleurs devant la cathédrale. Sortie de la campagne, mère de dix-huit enfants, elle s’est ouverte au monde en portant avec elle la volonté farouche de vivre et la bonté de ses bouquets. Tout comme Pointe-à-Pitre elle a converti un mariage forcé en parcours chaotique et en beauté dissidente.

Ernest Pépin

Pointe-à-Pitre

Vielle maison. Photo F.Palli.

 Viré monté