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La peinture en Martinique

Échelle
par Thierry L’Étang

Échelle

Serge Goudin-Thébia – Échelle, 1993, Technique mixte sur papier, 100 x 70 cm
(Photo Serge Goudin-Thébia)

Traits noirs sur fond d’azur, des barreaux scandent l’ascension du guerrier ivre d’absolu. Ils portent les marques du dernier rite jalonnant la carrière d’un grand homme: celui de son passage de la terre jusqu’aux cieux.

Ici est clairement dit le chemin des Vaillants passés dans l’au-delà, celui qu’empruntèrent Cayerman, Pilote, Arlet, Chatoyer, Kalamiéna dit le Baron, Amichon dit Oukalé; celui du dernier souffle de l’illustre Nicolas, capitaine rebelle des Caraïbes de Martinique, assassiné dans la baie de Saint-Pierre par Beausoleil et ses sbires.

Plusieurs mythes d’origine tirés des touffeurs guyano-amazoniennes assurent que maints héros culturels, une fois leur grand œuvre accompli, grimpèrent aux barreaux d’une échelle qui les conduisit au ciel, où ils devinrent astres et constellations brillant au firmament.

La vaillance des aïeux s’estimait alors à l’aune de la voûte étoilée, et durant des siècles, les mères répétèrent à leurs petits mâles de se montrer dignes de leurs pères dont la gloire scintillait comme mille caracolis au plafond de l’univers.

Au bas de l’échelle, un tipi des plaines nord-américaines semble signifier la terre basse, le foyer initial, le monde d’où l’on part. À l’extrémité supérieure de la diagonale, un visage papillon aux traits de pétroglyphe, entouré d’un halo de comètes et de lumière blanche, indique la place du héros accompli: l’éternité des siècles.

Mais le chemin de la gloire céleste passe par de sévères épreuves distinguant le curriculum d’un initié, et l’on voit des traits de flèches blanches de part et d’autre de l’échelle.

Passer par les piques d’une dent d’agouti fichée dans un tibia ennemi, celles d’une feuille d’ananas frelanguée à rebrousse-poil par les mains expertes d’une vieille femme. Passer entre les serres du mansfenil, se consumer lentement au venin de piment fort sans jamais crier swit!, endurer sans geindre la torture du prisonnier, avec pour unique certitude, l’espoir d’un éternel séjour au paradis des Braves.

La quête des peaux de roucou était celle du surhomme et Zarathoustra ne parlait pas plus fort que le plus humble de nos cannibales.

Du haut d’un morne de Tartane, avec devant lui la houle de l’Atlantique, Serge Goudin-Thébia inonde ses toiles de bleu-cosmos. Il a dans ses gênes un chamane de Terre Ferme et le laisse parler tout au bout de ses doigts. Sollicité en rêve, l’Ancien se réveille et lui conte la trace des Vrais Hommes.

On croit alors entendre, comme venu des nues, l’écho d’une formidable beuverie, celui d’un sempiternel et très grand ouicou où coule une bière de racines tirée d’énormes canaris sans fond. Béates d’ivresse, des âmes vaillantes de morts-au-combat sont allongées à fond de hamacs. D’autres jouent à zwel séré avec de fort coquines et superbes captives, tandis que certains esprits dont on ne perçoit nulle brillance (ceux des lâches ou des serviteurs assommés sur le tombeau de leurs maîtres), s’affairent pour service autour d’un grand boucan.

Et sous l’immense carbet des cieux, dans un graal en forme de coui fait de la calotte crânienne du plus capable des ennemis, la bière de manioc circule de mains en mains.

Thierry L’Étang

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