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Littérature d’Outre-mer ou littérature exotique?

Du corpus scolaire en Outre-mer

Christine Lara

La littérature française a souvent été perçue comme idéale, parfaite et intouchable mais aussi ennuyeuse par des élèves aussi bien originaires des collectivités d’outre-mer que de la France métropolitaine. L’aspect sacré du texte produit par un auteur incontestable par les petites voix (celles des élèves-lecteurs) a dressé un mur entre les lecteurs empiriques et le créateur du texte, un mur qui leur semblait infranchissable. Mais, depuis quarante ans les théoriciens de la réception de la lecture ont mis en évidence le rôle du lecteur dans l’acte de lecture. Les textes ont été désacralisés et le mur qui séparait la lecture cadrée et normative de la lecture interprétative se fissure de plus en plus. Le lecteur est dorénavant un élément de la lecture littéraire. Les derniers textes officiels1 lui reconnaissent même le droit d’ajouter ses propositions et réactions à la construction du sens du texte littéraire. Mais si ce lecteur est reconnu, il n’en est pas encore de même du lecteur pluriel, celui qui partage une culture commune avec ses pairs. Ce lecteur pluriel des régions de France métropolitaine ou des collectivités d’Outre-mer perçoit le texte avec sa culture, son passé, son histoire. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux lecteurs d’Outre-mer, où la culture est fortement marquée par de nombreuses revendications identitaires et où le passé turbulent a laissé des traces dans les esprits et la vie quotidienne.

Cet article cherche à montrer la part accordée à la littérature d’outre-mer dans les programmes, les manuels et les corpus des enseignants de lettres exerçant en outre-mer. Il présente l’analyse des résultats d’une enquête menée auprès des enseignants d’Outre-mer entre 2007 et 2009. Un questionnaire a été envoyé aux Inspecteurs des académies d’outre-mer, aux chefs d’établissements (lycées), et aux enseignants de lettres des collectivités d’outre-mer: à la Guadeloupe, à la Martinique, à la Nouvelle Calédonie, en Polynésie française, à la Réunion et à la Guyane. Il est parvenu aux enseignants par affichage mural, affichage sur le site de lettres de certaines académies (cas de la Polynésie), par courriel (à ceux qui ont souhaité répondre de cette façon) et surtout par Internet sur le site: Group-Surveys, où se trouvait l’enquête. Il apparait, à l’étude des premiers résultats que 379 enseignants ont bien voulu répondre. C’est la Guyane qui a montré plus d’intérêt pour ce travail avec 82 réponses, donc près de 21.64% des retours. Les enseignants de cette région sont très intéressés par tout ce qui touche à l’innovation pédagogique et plus particulièrement, celle en rapport avec les cultures locales et régionales, le social et le patrimoine historique. La maîtrise du langage dans le contexte plurilingue guyanais (langues amérindiennes comme le lokomo, le palikur, le kali’na, le wayampi, le teko; les langues créoles comme le créole guyanais, le nenge tongo, le saamaka; ou encore le hmong, langue asiatique et enfin, les langues d’immigration comme le portugais du Brésil, le créole haïtien, les créoles martiniquais, guadeloupéen et de Sainte-Lucie, le cantonais, le hakka, l'anglais du Guyana, le sranan tongo du Surinam, l'espagnol, etc.), sollicite l’attention des enseignants de lettres affectés à la Guyane. La Guadeloupe a renvoyé 75 enquêtes, ce qui correspond à 19,78% des «ayant-répondu». Les enseignants de lettres de cette région, comme ceux des autres collectivités, sont intéressées par l’importance accordée à la littérature de leur région et s’inquiètent qu’elle soit encore, d’une certaine manière, que nous verrons plus tard, marginalisée. La Martinique a envoyé 64 réponses, ce qui correspond à 16,90% des «ayant-répondu». La Réunion a envoyé 58 réponses soit 15,30% des «ayant-répondu». La Polynésie a envoyé 56 réponses soit 14,78% des «ayant-répondu» et la Nouvelle Calédonie a envoyé 44 réponses soit 11,60% des « ayant-répondu». Il apparaît que 76% des «ayant répondu» ont entre 30 et 44 ans, 17% ont plus de 45 ans et 7% ont moins de 29 ans. Cette enquête touche donc aussi bien des enseignants débutants que des enseignants confirmés qui ont une ont une expérience professionnelle variant entre 1 et 35 ans. Les réponses indiquent que ces professeurs ont des parcours de formation divers: si 183 ont suivi une formation à l’IUFM (de la Guadeloupe, de la Martinique, de la métropole, de la Polynésie), pour préparer le concours et/ou pour la formation post-concours, 122 n’ont pas eu de formation en IUFM. 2 ont été formés par le CRP, 54 ont suivi la formation continue (stages). Enfin, 20 ont reçu une formation en École Normale.

À partir des réponses obtenues à la question «Quel est votre parcours universitaire?», nous remarquons que 21% des enseignants ont un diplôme ou une mention Français Langue Étrangère. Comme nous l’avons vu, ce diplôme de français langue étrangère est important, voire même nécessaire dans certains établissements de l’académie de la Guyane où le français n’est pas la langue maternelle de nombreux élèves ou encore en Polynésie où la langue maternelle est le reo mao’ hi et les autres langues des archipels. Nous notons aussi que 34% des enseignants ont un diplôme supérieur à la licence, niveau minimum requis pour les concours de recrutement des enseignants du second degré. Ce niveau minimum est sur le point d’être relevé puisque la session des concours 2010, correspond à la dernière session avant la mise en place complète de la réforme en 2010/2011, avec de nouveaux masters et de nouveaux concours. L’important n’est certes pas le nombre d’années passées sur les bancs de l’université, mais bien la qualité de la formation, son contenu qui doit être adapté aux réalités du terrain. Il est indispensable que la pratique, l’expérience de la classe conserve sa prédominance sur la théorie. Les enseignants ont, dans un premier temps, présenté leur contexte professionnel.

Cette enquête ayant été envoyée en lycée général et technologique, 80% des enseignants professent dans des classes de la seconde (détermination, ou spécifiques), à la terminale (L). 20% enseignent aussi, ou uniquement, en classes de BTS 1 et 2, en CPGE, en IUFM, ou/et assurent la formation continue des enseignants. Certains, Titulaires sur zone de remplacement (TZR), sont en collège ou Lycée professionnel (LP), en même temps qu’au lycée.

À la question: avez-vous toujours enseigné dans ces niveaux, 16% affirment avoir toujours enseigné en lycée (seconde, première et terminale) et les autres déclarent avoir enseigné une ou plusieurs années en Collège, en BTS1 et 2, DEUG, DUT, IUFM, Institut territorial de Formation des Maîtres de Nouvelle Calédonie, École Normale de Tahiti, alliance française, Lycée professionnel.

Ces professeurs, qui enseignent outre-mer, sont 42,62% à déclarer avoir toujours enseigné outre-mer et, les autres affirment avoir travaillé en métropole (51%), mais aussi au Maroc, en Algérie, au Laos, en Éthiopie, en Belgique, à Andorre et en Afrique francophone (6.38%). De nombreux enseignants, lauréats des concours du second degré, originaires des départements et territoires d’outre-mer, réussissant les concours, étaient obligés de partir en métropole pour suivre la formation initiale en école normale puis en IUFM (après leur création). Leur premier poste était souvent en région parisienne. Cette première affectation explique, partiellement, ce taux de 51% d’enseignants, déclarant avoir travaillé en métropole. L’autre explication tient du fait que de nombreux enseignants de métropole viennent enseigner dans les collectivités d’outre-mer, surtout en Polynésie et en Nouvelle Calédonie, où, ils sont mis à disposition du territoire pour une durée de deux ans, renouvelable une fois.

Par ailleurs, on note que sur les 379 «ayant répondu», seuls 42% sont originaires d’une collectivité d’outre-mer, ce qui correspond à 159 enseignants. Le taux le plus faible est constaté en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie, territoires très sollicités par les enseignants de la métropole.

Quand on interroge les enseignants sur le niveau de leurs classes, dans leur discipline, ils déclarent que 51% des élèves ont un niveau moyen, 40% ont un niveau faible, 4% ont un niveau très faible et seulement 5% ont un bon niveau. Faut-il voir dans ces chiffres un lien avec le choix des textes? Un lien avec la langue maternelle et la langue d’apprentissage? Un lien avec l’origine culturelle des enseignants?

Nous nous sommes ensuite interrogé sur le choix des textes, la constitution des corpus et avons interrogé les enseignants d’outre-mer, sur le contenu de leur enseignement: 55,73 % des enseignants d’outre-mer affirment ne pas utiliser les séquences proposées par les manuels scolaires, pour les raisons suivantes: «le niveau des élèves est trop faible par rapport aux exigences de certains manuels», «il n’y a pas de liberté de choix des textes», «je choisis les textes en fonction de mes goûts personnels», «je choisis les textes en fonction des gouts et des motivations des élèves», «manuels inadaptés au niveau des élèves», «progressions non conformes à mes attentes», «ils ne sont pas adaptés aux réalités locales», «il n’y a pas assez d’œuvre locales», «il n’y a aucune œuvre de Polynésie», «aucun auteur de la Réunion». Le reproche fait aux manuels de français est cette absence ou cette insuffisance de textes des collectivités d’Outre-mer. Certaines régions n’ont aucun auteur présenté dans les ouvrages. Certes il n’est pas possible de consacrer un ouvrage entier aux auteurs d’Outre-mer, mais il serait enrichissant de varier les écrivains. Il reste aux enseignants la possibilité de produire leurs propres séquences convenant mieux au niveau et aux goûts de leurs élèves. La question suivante portait bien à propos sur l’utilisation des séquences des manuels. Plus de cinquante cinq pour cents des professeurs interrogés affirment ne pas se servir des séquences des manuels. Il apparaît que 11,47% des enseignants d’outre-mer, déclarent utiliser parfois, les séquences et les progressions des manuels pour: «avoir des idées de séquences, et de progressions, en association avec d’autres manuels.», «Pour la méthodologie et /ou les exercices d’étude de la langue».

Enfin, 32.80% utilisent régulièrement les séquences et les progressions des manuels pour les raisons suivantes: «les manuels offrent de très nombreuses séquences et on peut choisir parmi elles.», «les manuels ont été demandés aux élèves, il est normal de les utiliser», «séquences et progression bien faites.», «il est pratique d’utiliser les manuels, cela dispense de faire des photocopies et cela permet d’étudier les images, en couleur.», «les synthèses de cours sont bien faites.» , «c’est parfait pour les enseignants débutants», «les progressions sont conformes aux programmes.» Ce sont surtout les enseignants nouvellement titularisés (entre 1 et 3 ans d’expérience), les personnels non titulaires, les TZR affectés dans un autre type d’établissement, mais aussi certains professeurs confirmés, qui déclarent utiliser régulièrement les séquences et progressions des manuels. Nous avons ensuite demandé aux enseignants, s’ils construisaient leur propres corpus, car, même ceux qui utilisent les manuels régulièrement ont certainement, été amenés à construire un corpus, pour une ou plusieurs raisons. Les réponses obtenues montrent que 49,87 % des enseignants construisent toujours leurs propres corpus, que 28,12% construisent certains corpus, notamment ceux relatifs à la littérature d’outre-mer, et que 22.01% utilisent les manuels ou les sujets des Épreuves Anticipées de Français. Il apparait donc que, s’il n’existe pas de corpus relatifs à la littérature d’outre-mer dans les manuels, celle-ci ne sera pas vue avec les élèves. Les raisons qui conduisent les professeurs à construire leurs propres corpus sont donc motivées par ce manque de textes de leur région d’enseignement. 8,19% des enseignants, ont déclaré construire leurs corpus pour intégrer la littérature locale car il n’y a pas assez ou toujours les mêmes textes de littérature d’outre-mer dans les manuels. 32,78% des enseignants, ont déclaré construire leurs propres corpus selon les motivations et intérêts de leurs élèves (mais dans ce cadre, il semble qu’on doive considérer que la littérature locale est une de leurs méthodes). 12,40% des enseignants, ont déclaré construire leurs propres corpus selon leurs goûts personnels et leurs propres connaissances des œuvres. Enfin, 46,63% des enseignants, ont déclaré construire leurs propres corpus car les textes et applications sont trop difficiles pour leurs élèves ou que les référents culturels sont trop éloignés de leurs élèves.

Puisqu’il était question de littérature d’Outre-mer, nous avons cherché à savoir quels auteurs choisissaient les enseignants d’outre-mer, pour leur enseignement de la littérature. Nous avons constitué trois groupes d’auteurs: ceux retenus pour étudier le théâtre, ceux retenus pour étudier le roman et ceux retenus pour étudier l’argumentation. Pour le théâtre on retrouve, en tête de liste, les auteurs qui sortent le plus souvent au baccalauréat: Ionesco (cité 360 fois), Molière (cité 232 fois), Cocteau (cité 182 fois) et Beaumarchais (cité 114 fois). Le premier auteur d’Outre-mer est Césaire (cité 70 fois) suivi de Koffik Wahule (25 fois). Les enseignants expliquent leurs critères de choix de la sorte:

  1. Parce que les œuvres sont au programme et cités dans les documents d’accompagnement.
  2. Ce sont des œuvres connues des enseignants.
  3. Ce sont les œuvres des manuels.
  4. En fonction des supports visuels disponibles dans l’établissement.
  5. Ouverture d’esprit par ces œuvres.
  6. Œuvres classiques incontournables.

Les enseignants précisent: «Molière, Corneille, Racine, Rostand car ces derniers sont appropriés pour travailler le genre et les caractères. Molière, Ionesco, Musset pour l’importance de la culture classique.», «Auteurs du dix-septième et du vingtième siècle parce qu'il y a résonance chez les élèves.», «Molière, Dürrenmat (Visite de la Vieille dame), Musset, Shakespeare, pour la variété internationale, l’universalité des thèmes», «Antigone d'Anouilh (texte en prose et figure attachante du personnage) ou encore: «Racine, Corneille, Molière, A. Césaire: ce sont les plus connus et ils appartiennent au patrimoine», «Je choisis les textes selon la liste des instructions officielles et les auteurs afférents aux siècles et périodes littéraires, voire historiques».

Nous nous sommes ensuite intéressés aux auteurs retenus pour l’étude du roman. Nous notons l’apparition de quelques œuvres des collectivités d’outre-mer. Mais les trois premiers auteurs sont ceux qui sont les plus fréquemment proposés aux Épreuves Anticipées de Français et sont conseillés dans les documents d’accompagnement. La littérature reste très classique dans les départements d’outre-mer, même si on note une ouverture à la littérature d’outre-mer, propre à chaque collectivité. Nous avons obtenu le classement de tête suivant: Zola (114 fois), Hugo (92 fois), Balzac (84 fois), Condé (80 fois), Maupassant (é 78 fois). Maryse Condé figure à une place de choix. Les autres auteurs d’Outre-mer trouvent leur place dans ce genre littéraire. Chamoiseau (42 fois), Vaxelaire (18 fois), Axel Gauvin (12 fois) et Vairaumati no Raiatea (4 fois). Certains auteurs comme Sepùlveda (21 fois), Segalen (7 fois), Reverzy (8 fois) sont parfaitement intégrés dans les corpus des enseignants d’Outre-mer car ils présentent le double avantage d’être présents dans les manuels scolaires, aux épreuves anticipées de français et de traiter les thèmes chers aux iliens.

Les enseignants ont expliqué leurs choix: pour 31% d’entre eux, il est indispensable d’étudier des œuvres classiques, qui contribuent à donner aux élèves une culture commune. 22% choisissent les textes proposés par les documents d’accompagnements et les programmes qui garantissent la validité des œuvres et la conformité aux orientations officielles .20% choisissent les textes en fonction des références culturelles de leurs élèves. 13% en fonction de leur accessibilité. 10% 5
retiennent les œuvres qui sont dans les manuels des élèves et enfin, 4%, sélectionnent les textes en fonction de leurs goûts personnels et de leur degré de maîtrise des œuvres.

Ils ont précisé: «Zola, Balzac sont privilégiés car le style est beau et l'analyse des personnages très fine. De plus, les élèves sont fascinés par l'histoire», «je choisis des romans que j'aime, plutôt des textes du XXe siècle. En seconde, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, plaît beaucoup et fonctionne bien. De plus, la NRP a proposé une séquence très adaptable.» «en 1ère, je choisis Camus (La Peste), œuvre très riche, qui est une initiation à la philosophie et Mauriac (Thérèse Desqueyroux) car c’est un roman court, simple et dont l'aspect 'fait divers' attire les élèves», «je choisis d’étudier des œuvres de Maryse Condé car c’est roman du XXème siècle, (différentes voix narratives), culture créole, personnage principal reconstruit par les lecteurs.», «Jean Claude Carrière, pour l’adéquation entre des objets d’étude et pour une approche d’une écriture contemporaine, Honoré de Balzac, car son écriture me plaît et qu’il est ainsi, plus aisé de communiquer cela à mes élèves», «Jean Reverzy, Victor Segalen, Vairaumati no Raiatea, car je souhaite utiliser des textes qui parlent de la Polynésie.», « Je choisis Sepùlveda, car ses textes ont un rapport avec la Guyane.» Les enseignants ont profité de la liberté de choix qu’offre le genre romanesque. Les auteurs des collectivités d’outre-mer sont plus souvent romanciers et poètes que dramaturges. Par ailleurs, le choix proposé est plus large.

L’étude du genre argumentatif place Aimé Césaire en première positon (320 fois), suivi de Voltaire (300 fois), de Montesquieu (283 fois), de Diderot (235) de Rousseau (152), Hugo (120) et de La Fontaine (95). À la septième place on trouve «divers textes traitant de la colonisation». Les autres auteurs d’Outre-mer sont Pépin (63 fois), L.G. Damas (16 fois), P. Chamoiseau (12 fois), C.Spitz (3 fois). L’auteur sénégalais L. S. Senghor est cité 30 fois.

Le Discours sur le colonialisme (1950) de Césaire est l’œuvre qui remporte le plus de suffrages. Ce texte est enseigné aussi bien par les enseignants originaires d’outre-mer que par ceux qui sont originaires de métropole ou d’ailleurs. On notera que Césaire fait partie de la liste officielle communiquée par les documents d’accompagnement.

Ce qui, souvent, légitime une œuvre est le fait qu’elle soit étudiée à l’université, qu’il existe des publications, des aides, des méthodes et des critiques à la disposition des enseignants et c’est le cas de cet ouvrage. Ensuite on retrouve le trio habituel: Voltaire, Montesquieu et Diderot, qui manifeste bien l’intention des enseignants de rester «classiques.» Les critères de choix des œuvres argumentatives sont les suivants:

  1. La clarté de l’argumentation.
  2. Respect des orientations officielles (liste communiquée par les documents d’accompagnement).
  3. Intéresser les élèves (sujet encore d’actualité).
  4. En rapport avec la culture des élèves.

Les enseignants ont précisé: «Je tente de suivre scrupuleusement les instructions préconisées par les programmes.», «La presse, car s'appuyer sur des faits divers facilite la réaction des élèves.», «La presse est un excellent support.», «Les philosophes des Lumières en fonction d'une unité thématique.», «Je choisis les auteurs du 18ème siècle: Voltaire, Rousseau, Kant, Diderot, par exemple, car leur cheminement argumentatif est généralement facile à détecter pour les élèves et le contenu souvent encore d’actualité», «Je choisis plutôt des auteurs contemporains car leur écriture est plus accessible ainsi que les thèmes de réflexion.», «Hugo, Montesquieu, mais aussi des textes de philosophie (Platon, Alain). Ceci afin de travailler les idées, mais aussi leur mise en forme.», «La Fontaine, Voltaire, Philosophes des Lumières: pour donner une culture générale aux élèves.», «Des classiques aux textes de presse et aux essais, discours politiques ou l'image. Il me semble important de confronter mes élèves à ce qu'ils retrouvent quotidiennement.», «Que des classiques français: Facilité et en fonction de mes connaissances personnelles.», «Césaire: l'étude des extraits permet d'aborder l'histoire littéraire et surtout, il a un lien avec l'histoire culturelle de mes élèves.», «Spitz, qui présente une argumentation culturellement compatible avec mes élèves.»

Les enseignants qui ont voulu ouvrir leur enseignement aux auteurs d’outre-mer ayant écrit des textes argumentatifs, n’ont pas eu un aussi vaste choix que lorsqu’il s’était agi de choisir des textes fictifs. Ils ont dû retenir Césaire en majorité. On note cependant que cela n’a pas été le cas de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie.

Pour mieux centrer les réponses, quant à l’utilisation et aux choix des textes d’outre-mer, il a été demandé aux enseignants d’établir la liste des auteurs d’outre-mer qu’ils choisissent d’étudier avec leurs élèves et nous avons obtenu, classés par ordre alphabétique: Aurima-Devatine Flora, Gauvin Axel, Beaudoux Georges, Césaire Aimé, Chamoiseau Patrick, Chenet Anne, Condé Maryse, Confiant Raphaël, Damas Léon Gontrand, Glissant Édouard, Guerra Wendy, Hiro Henri, Kwahulé Koffi, Laferrière Dany, Lauberaux, Lods Jean, Ly Jimmy, Masson Loys, Mariotti Jean, Maximin Daniel, Métellus Jean, Montabe, Patient Serge, Pepin Ernest, Peu Titaua, Pineau Gisèle, Roumain Jacques, Saint John Perse, Sam Long Jean-François, Schwartz-Bart Simone, Senghor Léopold, Tehem, Spitz Chantal, Tirolien Guy, Vairaumati no raiatea, Vaxelaire Daniel, Victor Gary, Vollard, Zobel Joseph, divers conteurs d’outre-mer, non précisés. Cette liste non exhaustive, trahit donc le besoin qu’éprouvent les enseignants d’outre-mer d’étudier des œuvres de leur environnement culturel. Ils ont affirmé que cet enseignement était nécessaire pour motiver les élèves, leur montrer que la littérature existe aussi dans leur collectivité, leur offrir des textes ayant des référents culturels proches d’eux et le patrimoine socio-culturel et historique de leur région.

Les enseignants choisissent souvent les auteurs de leur collectivité car il n’y a pas de réelle passerelle entre les divers espaces culturels de l’outre-mer. Césaire est certainement un des rares auteurs que l’on retrouve dans ces différents espaces. Il existe cependant une littérature certes jeune mais très riche en Polynésie et en Nouvelle Calédonie, une littérature plus marquée à la Réunion mais, comme les documents d’accompagnement ne les citent pas, elles sont souvent considérées comme marginales. Sur les 379 réponses obtenues, plus de 150 enseignants n’étudient aucun texte d’auteurs ultra-marin à l’exception, parfois, de Césaire.

Ceux qui ont fait le choix d’étudier des œuvres d’auteurs ultramarins le font afin de traiter de l’identité culturelle des élèves (la négritude, la créolité), de contextualiser leur enseignement, de motiver les élèves et de leur montrer qu’ils ont aussi une littérature, qui s’enseigne. L’apport psychologique de cette démarche est important. Ceux qui n’étudient pas de textes d’auteurs ultramarins, affirment qu’ils sont trop difficiles d’accès pour leurs élèves (25%), qu’ils ne connaissent pas suffisamment les textes et le contexte (22%), que le programme est déjà assez chargé, qu’ils n’ont pas le temps d’introduire cette littérature ( 12%) et enfin, qu’ils ne jugent pas ces œuvres pertinentes dans le cadre de leur enseignement (41%).

Les enseignants ont apporté les précisions suivantes: «Car ils font référence au vécu proche de mes élèves», «Pour motiver les élèves et leur montrer que nous avons, nous aussi, une littérature qui leur semble souvent loin d'eux, ce qui crée parfois un sentiment d'infériorité par rapport à l'acquisition d'une culture qui n'est pas forcément la leur ou qu'ils ont du mal s'approprier, vu qu'ils ne connaissent pas du tout la métropole et encore moins l'Europe», «Je n’enseigne pas la littérature d’outre-mer parce que je ne la connais pas.», « Pour la beauté du style et la portée des messages d'un point de vue idéologique.», «Parce qu’il est important de contextualiser l'enseignement... sans oublier les classiques.», «Pour sa poésie engagée en phase avec mon objectif annuel en 1ère», « Faute de les connaître suffisamment. Par contre, lorsque j'ai enseigné au Maroc, je me suis intéressée à la littérature maghrébine.», «Depuis que je suis en Calédonie, je n'ai pas été tentée par la découverte des auteurs ultra-marins. Cela dépendra de mes progressions annuelles», «Cette étude permet d'établir des points communs avec la littérature française et de porter un autre regard sur la métropole.», «Je n’étudie pas les textes d’auteurs ultra marins car ils souvent trop difficiles», «Parce que le programme est vaste, et que je n'ai pas beaucoup de temps pour ces auteurs. Également et peut-être avant tout parce que je ne les connais pas bien», «Ouvrir sur la négritude, faire connaître des auteurs peu étudiés mais proches de nous, par la culture et l'époque, étudier les jeux avec la langue, c’est cela l’enseignement de la littérature d’outre-mer.», «Gauvin, parce qu'il est réunionnais et nous permet de travailler sur le texte en créole, avec le professeur de Langue et Culture Régionale et sur la version française et les problèmes de traduction», «par goût personnel, car il me semble qu'on enseigne mieux ce que l'on aime», «Ce sont des textes qui me 'parlent' et qui 'parlent' aux élèves», «Le programme est déjà exigeant et la littérature 'française' déjà si vaste...Mais vous me donnez des idées.», «Par goût personnel.», «Ils ne sont pas les plus pertinents pour les objets d'étude», «Ils s'inscrivent bien dans la séquence sur le roman», «C'est surtout l'occasion de les faire connaître aux élèves, et de mieux s'approprier sa littérature.», «Qualité du texte d'abord! Réalité locale et textes qui parlent aux élèves», «Enjeux locaux: négritude, créolité, etc.», «Je n’étudie que des auteurs reconnus par les textes officiels et qui tombent au bac.» ou encore «Littérature très adaptée à nos élèves et qui les motive.»

Nous avons aussi interrogé les enseignants sur l’utilisation des œuvres d’outre-mer pour l’étude de la langue et 95% d’enseignants, déclarent ne pas utiliser les textes d’outre-mer pour l’étude de la langue. Car, soit ils n’étudient pas la maîtrise de la langue avec leurs élèves de lycée (12%), soit ils considèrent que ces textes sont inappropriés à ce genre d’exercices. Les 5% qui le font, considèrent que c’est une méthode d’apprentissage linguistique: «Lorsque j'étudie un texte d'auteur ultramarin, je me sers surtout de ma connaissance du créole réunionnais pour aider les élèves à corriger leurs erreurs en français, en leur montrant la différence de construction, en faisant des parallèles entre les deux langues.» Dans le programme de seconde, on peut lire: «Lorsque les œuvres et textes étudiés l'appellent, l'analyse des variations sociales et historiques de l'usage langagier est abordée.»2 C’est une ouverture possible pour l’étude de la littérature d’outre-mer. Ce point du programme est bien plus ouvert en classe de première puisqu’il est ajouté une dimension culturelle au langage: «Le travail sur la langue privilégie, en première, la réflexion sur le sens. Il a pour objectifs essentiels: […] l’étude des variations historiques, sociales et culturelles de l’usage langagier.»3 Les précisions obtenues quant à cette réponse sont les suivantes: «parce que je ne les connais pas», «Je n'y pense pas vraiment.», «Parce que certains auteurs présentent des particularités intéressantes sur le plan stylistique. Nous partons de la phrase canonique pour aborder ensuite des phrases plus complexes dont la compréhension passe par une analyse logique», «Parce que j’utilise mes propres supports déjà testés», «La syntaxe et la langue parfois, semblent plus proches de celles des élèves dans un aspect le plus souvent comparatif», «Quand le texte s'y prête, je le fais», «Je fais fort peu d’EDL dans mes classes», «sans doute parce que les manuels n'en proposent pas.... et que j'en connais trop peu.», «Peu fréquent dans l'année.», «cela est abordé le plus souvent en lecture analytique, pour laquelle je ne choisis pas des auteurs d'outre-mer ou en aide individualisée avec un manuel de méthodologie», «c’est l’occasion de travailler sur des extraits et d'inciter à la lecture», «ils réagissent à certaines structures syntaxiques.», «Les textes d'auteurs d'outre-mer sont minoritaires dans mes corpus. Je les utilise donc moins que les autres en grammaire.», «En stylistique: Glissant est très complexe; les élèves aiment bien retrouver des phrases très soutenues chez des créoles.», «Car la langue ne s’y prête pas toujours», «Certains 8
textes ne se prêtent pas à l'étude de la langue», «Souvent, il y a une grande richesse lexicale dans ces textes et, une approche autre de la conjugaison, peut être utile pour l'EDL.»

Les œuvres d’outre-mer ne sont que rarement utilisées comme support pour l’étude de la langue car la langue de certains auteurs, est jugée trop «régionale» ou « typique». Cette diglossie (l'état dans lequel se trouvent deux systèmes linguistiques coexistant sur un territoire donné, et dont l'un occupe, le plus souvent pour des raisons historiques, un statut socio-politique inférieur), met les enseignants mal à l’aise, quand il s’agit d’étudier la langue française, à travers certaines œuvres littéraires d’outre-mer. Il est vrai que toutes les œuvres des auteurs ultramarins, ne sont pas forcément adaptées à l’apprentissage de la langue française, mais elles servent à montrer les spécificités de la langue et son évolution.

Dans ce domaine, une étude devrait être faite ou à la demande des corps d’inspection ou de l’Inspection Générale, afin de lister les œuvres intéressantes pour cet exercice.

Les enseignants ne sont pas tous très à l’aise face à la légitimité des textes dans le programme du lycée. Ils savent que ces textes sont rares aux examens et qu’ils sont souvent considérés comme une littérature extra-programme ou supplémentaire ou complémentaire. Aussi, dans l’intérêt des élèves, sacrifient-ils cette littérature d’outre-mer, tout en sachant pourtant, le bienfait psychologique et éducatif que cela représente pour les élèves. Ce qui explique sans doute la raison pour laquelle les enseignants utilisent surtout les œuvres d’outre-mer pour la lecture cursive. Autrement, ils se servent, en majorité, uniquement d’extraits bien sélectionnés. 48% d’enseignants, préconisent d’utiliser les œuvres d’outre-mer pour les lectures cursives. Cela indique aussi, que certains enseignants, ne maîtrisant pas cette littérature locale, et voulant, tout de même transmettre(ou partager) cette culture aux élèves, leur demandent de lire tel ou tel ouvrage. Parfois ils leur demandent de réaliser une fiche de lecture (8%). Les travaux de recherche (20%) sont aussi demandés, et ils permettent à l’élève de s’approprier sa culture locale et à l’enseignant qui ne maîtrise pas cette littérature, de ne pas en priver ses élèves. Les activités orales sont l’occasion de faire débattre d’un thème, d’un avis, d’une idée ou d’un aspect de langue ou de culture, ce qui plaît souvent aux élèves qui se lancent dans l’argumentation. Enfin, la lecture analytique d’un texte littéraire d’outre-mer ne se fait qu’à 19%, ce qui trahit bien le malaise de l’enseignement de la littérature d’outre-mer.

Les enseignants se servent de cette littérature comme point de départ «de l’écriture d'invention, commentaire ou dissertation.»
Quand on demande aux enseignants de classer les auteurs qu’ils utilisent avec leur classe de seconde et première, on trouve clairement ceux qui n’enseignent pas la littérature d’outre-mer la jugeant inadaptée et réductrice, ceux qui ne veulent que des textes classiques, ceux qui choisissent d’enseigner, en adaptant leur enseignement à la culture de la région, tout en ne négligeant pas les auteurs incontournables. Chaque région choisit ses auteurs locaux, en général. On obtient certaines combinaisons comme, par exemple: «Henri Hiro, Duro Raapoto, Chantal Kerdilès (nouvelles) et Maupassant, Molière, Balzac, Zola, Anouilh, La Fontaine, Voltaire.» ou encore:«Césaire, Damas, Senghor, Chamoiseau, Pepin, Condé, Schwarz-Bart et Musset, Balzac, Hugo et Perrault» ou «Jaques Roumain en 3 ème et seconde. Divers auteurs de la Caraïbe comme S.Schwarz-Bart, L.G Damas», ou «Flaubert, Zola, L.Gaudé, Sepùlveda, Hugo, Racine, Camus», ou «Henri Hiro, Duro Raapoto, Chantal Kerdiles et Flaubert, Maupassant, Molière», et aussi«Griffin, Dans la peau d’un noir; Guilloux, La Maison du peuple, Le Sang noir; Hampaté Bâ, Amkoullel, l’enfant peul; Hardy, Tess d’Uberville; Inoué, Le Fusil de chasse; Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père …» pour ne citer que ces combinaisons qui allient la littérature d’outre-mer et celle, plus classique des programmes.

Les textes choisis indiquent que les enseignants se sentent plus libres d’aborder la littérature d’outre-mer et même d’ailleurs, avec les élèves de seconde car ils ne se présentent pas à un examen en fin d’année. Le choix de textes en première, est différent car la priorité est donnée aux classiques et aux textes qui sont cités dans les programmes officiels et qui se retrouvent à l’examen. Cependant, les professeurs prennent certains textes d’outre-mer pour le récit, la poésie mais peu pour l’argumentation.

On retrouve selon la classe et la série «Tavae Raioaoa (autobiographie), Maeva Shelton (autobiographie), Vairaumati no Raiatea (roman), Chantal Spitz (roman), Titaua Peu (roman), Gary Romain (Le Passage), Jean Reverzy, est étudié en 1L (œuvre intégrale). En plus: des extraits des Immémoriaux, Victor Segalen, Le mariage de Loti, Pierre Loti, Tapi de Melville, et autres auteurs qui ont écrit sur la Polynésie.», «Pas de classement particulier, mais je retrouve souvent Racine, Hugo, Diderot, Voltaire, Molière, Le Clézio, Balzac, Rousseau», «philosophes des Lumières, Molière, Henri Michaux, Charles Juliet, Mme de la Fayette, Zola, Du Bellay, Ronsard, Marot, Laclos, Baudelaire, Rimbaud, Éluard, Aragon, Montesquieu, Voltaire», «Racine, Molière, Laclos, Malraux, Yasmina Réza, Jean-Luc Lagarce.», «Césaire, Damas, Senghor, Condé, Schwarz-Bart, Pineau, Chamoiseau, Pépin, Damas, Hugo, Césaire, Chamoiseau, Voltaire, Molière.»,«Gracq, Huysmans, Kourouma, Le Clézio, Malraux, Mauriac.»

Les enseignants de lettres reconnaissent volontiers donner la priorité aux textes des Épreuves Anticipées de Français (respect du programme) et ensuite à la culture classique (désir de apporter une culture classique aux élèves) et enfin aux œuvres d’outre-mer (promouvoir le biculturalisme).

Selon les enseignants, leur choix de textes et des œuvres dépend de plusieurs critères: pour 36% il dépend de leur formation en IUFM; de leurs lectures personnelles pour 32%; de l’université selon 12.3%; de la formation continue pour 9.9% et de la scolarité au lycée pour 9.8%. Ainsi, l’on constate que si les enseignants d’outre-mer n’ont pas étudié d’œuvres des collectivités d’outre-mer, lors de leur propre formation scolaire et universitaire, ils ont plus de réticences à enseigner cette littérature. Et si, de plus, ils n’ont pas rencontré de textes d’outre-mer lors de leur passage en IUFM, alors ils seront encore moins motivés par l’enseignement de ces textes.

C’est encore dans les départements et territoires d’outre-mer, que l’on enseigne le plus cette littérature: à l’école, au collège, au lycée, à l’université et à l’IUFM. Une partie de ces enseignants sont disposés à enseigner la littérature de leur région «caraïbes/ Pacifique/ Océan Indien» Certains enseignants, arrivant de métropole, s’investissent dans la littérature d’outre-mer, dans l’intérêt de leurs élèves et de leur patrimoine culturel.

La question, Pensez-vous qu’il faudrait une formation spécifique à l’enseignement des textes d’auteurs d’outre-mer, obtient les réponses suivantes: 14% des enseignants affirment que cela n’est pas nécessaire: «Non, notre formation nous permet d'étudier tous les textes», «Non il faudrait que ces textes soient abordés en métropole, en général et que la créolité soit intégré comme un mouvement littéraire et enseigné aussi en métropole». 84% des professeurs pensent que cela est nécessaire: «Oui, je le pense, il est nécessaire d’être formé pour bien appréhender cette littérature», «J’ai proposé, pendant trois années consécutives, des stages sur la littérature polynésienne en formation continue dans le cadre de mes fonctions de professeur ressource (2005 2007)». D’autres ajoutent qu’ils sont d’accord mais, que « l'objectif d'une telle formation devrait être clairement défini pour que le travail soit intéressant et sans parti pris», oui parce que ces auteurs sont peu étudiés pendant la formation des enseignants », «oui les stages ne sont pas suffisants et il faudrait aussi un choix de textes dans les programmes», «Cette formation devrait être assurée dans les IUFM.» Enfin, 2% doutent de la véritable nécessité des stages «Je ne puis me prononcer car j'ai suivi une UV de littérature d'outre-mer durant mon parcours universitaire et ne me sens pas qualifiée», «Les stages de trois jours ne suffiront pas.» Une grande majorité d’enseignants réclament des stages de littérature d’outre-mer, certes, il existe des facultés de lettres dans les collectivités où l’accent est mis sur cet aspect de la littérature, en métropole certaines universités proposent de la littérature d’outre-mer et des écoles doctorales travaillent sur certains auteurs d’outre-mer. Des stages de littérature sont proposés aux enseignants au sein des académies. Des ateliers de recherche sur la littérature d’Outre-mer existent dans différentes collectivités comme le groupe de recherche et de production mis en place en 2007, par Annick Le Bourlot, IPR-IA de Lettres. Mais, en dépit de tout cela, la littérature d’outre-mer reste marginale. Pourquoi?

Enfin, quand on demande aux enseignants, quel pourcentage d’auteurs d’outre-mer ils utilisent avec leurs élèves, on remarque que ce n’est qu’un faible taux.

15 % des enseignants déclarent utiliser 0% de textes d’outre-mer; 38 % des enseignants déclarent utiliser entre 0% et 2% de textes d’outre-mer; 35% des enseignants déclarent utiliser entre 2% et 5% de textes d’outre-mer; 9% des enseignants déclarent utiliser entre 5% et 10 % de textes d’outre-mer et 3% des enseignants déclarent utiliser entre 10 et 25% de textes d’outre-mer.

Les enseignants justifient ce peu d’intérêt pour les auteurs des collectivités en affirmant que le choix de textes est peu varié, que l’examen est la priorité, qu’ils ne savent pas si cette littérature est acceptée dans les textes: « parce que je ne les connais pas assez pour les faire étudier et car je tente de respecter les programmes», «Dans un souci de préservation de la littérature classique nationale, pour répondre aux textes officiels», «Pour des raisons historiques: la littérature d'outre-mer est une émergence récente et a hérité des transformations et changements du XX° siècle. Pour étudier un extrait, une bonne culture générale est tout de même nécessaire. (Étudier Césaire, sans avoir quelques notions d'histoire des Caraïbes pour certaines œuvres, peut devenir ardu)», «Parce que nous sommes soumis à des programmes, qu'il y a peu de pièces de théâtre accessibles aux élèves, et pas tant de romans édités et accessibles...», «Par manque de formation mais aussi, je vous le disais parce que la littérature 'française' est déjà très riche et que les horaires nous bloquent: quel 'grand' auteur éliminer au profit d'un auteur réunionnais?»

Ce sont les enseignants de la Polynésie qui utilisent le plus d’auteurs de leur région, sans doute parce qu’ils jouissent d’une liberté accordée statutairement.

Enfin, j’ai posé une question en rapport direct avec ma recherche, et qui confirme bien qu’Atala est une œuvre très peu étudiée.

3% des enseignants déclarent avoir étudié Atala avec leurs élèves de seconde, dans le cadre du mouvement du romantisme et 2% l’ont abordé en classes préparatoires. Par contre, 75% des enseignants ont étudié Les Mémoires d’Outre tombe, pour l’autobiographie, la description et le style, sous forme d’extraits, et dans 95% des cas, en lecture analytique. Ils ont précisé qu’ils retenaient Les Mémoires d'outre tombe, en extraits pour l'autobiographie et René dans le cadre de l’objet d’étude: roman et ses personnages /Vision de l'homme et du monde», «Mémoires d'Outre Tombe, œuvre intéressante pour l'écriture et constitue une bonne illustration de la société du XIXème.», «René, pour le romantisme en seconde les Mémoires pour l'autobiographie et la description en classe de première».

Cependant, de nombreux sites, sur Internet indiquent que cet ouvrage est très enseigné dans les lycées de la métropole. Mais nous savons combien il est rare qu’une œuvre, ne figurant pas dans la liste des programmes officiels et ne figurant pas dans les manuels, soit retenue par les enseignants.

Toutes ces données chiffrées, nous amènent à affirmer que la littérature d’outre-mer est avant tout, cantonnée aux collectivités d’outre-mer. Il y a plusieurs raisons à cela: tout d’abord, les enseignants sont tenus de respecter les programmes et orientations officielles fixés par le Ministère de l’Éducation. Ces programmes, même s’ils se prétendent non limitatifs, donnent une légitimité à des textes et à des auteurs et du même coup, marginalisent d’autres. Les enseignants, soucieux de bien faire, restent attachés à ces propositions. Ensuite, ces programmes et orientations officielles, s’imposent dans les manuels, qui se veulent conformes aux textes et du même coup, rejettent les textes non cités. De plus, ces programmes s’imposent dans le choix de sujets des Épreuves Anticipées de français qui, officialisent certains textes, certains auteurs qui se retrouvent régulièrement dans les sujets, renfermant la littérature dans un filet de traditions et de conformisme.

Mais aussi parce que, les enseignants éprouvent une certaine culpabilité envers leurs élèves, quand ils enseignent la littérature d’outre-mer aux classes de lycée et particulièrement de première. Ceci est dû au fait qu’ils ne veulent pas pénaliser leurs élèves, sachant que les textes d’auteurs ultra marins ne sont, pratiquement jamais, sélectionnés au baccalauréat. En outre, cette littérature d’outre-mer, est peu ou pas du tout, enseignée en métropole. De plus, les auteurs de l’outre-mer ne sont pas des auteurs «classiques» au sens strict du terme, car une ouvre classique, selon le Robert et autres dictionnaires, est une œuvre réalisée pendant la période du classicisme (XVIIème siècle), ou encore une œuvre qu’on enseigne dans les classes parce que considérée comme modèle à imiter, qui appartient à l’Antiquité gréco-latine, considérée comme la base de l’éducation et de la civilisation. Au sens plus large, une œuvre qui ne correspond pas à des critères établis, aux normes.

Aussi, parce que la littérature d’outre-mer est considérée comme une littérature des minorités, une littérature exotique.

Enfin, c’est aussi parce que toutes les œuvres d’outre-mer ne sont pas forcément adaptées à l’enseignement de la littérature en classe, mais c’est aussi le cas de plusieurs œuvres d’auteurs métropolitains ou d’ailleurs.

Pour toutes ces raisons, cette littérature fortement marquée par sa culture ultramarine est reléguée au quatrième plan, après la littérature classique, la littérature reconnue, la littérature étrangère. Que faudrait-il faire? Ceux qui détiennent le pouvoir de faire évoluer le statut de la littérature d’outre-mer sont les concepteurs des programmes.

Il n’est pas question de privilégier la littérature d’outre-mer par rapport à celle déjà établie, à celle classique, mais, comme cela commence à se faire, ajouter quelques ouvrages à la liste des œuvres conseillées et à celles données par les programmes, (pas dans la rubrique littérature étrangère, ou francophone, mais aux côtés des auteurs français), ceci officialisera cet enseignement qui met mal à l’aise de nombreux enseignants. Mais la littérature d’Outre-mer ne s’arrête pas à A. Césaire et L.G Damas, il y a des auteurs d’autres régions, dont la qualité d’écriture mérite une place dans la littérature contemporaine. Les écrivains de la Réunion, de la Polynésie, de la Nouvelle Calédonie, ne sont même pas conseillés dans les listes officielles.

D’autre part, si aucun texte d’outre-mer n’est retenu pour le baccalauréat, pourquoi les enseignements de première, risqueraient-ils de ne pas avoir le temps de voir et revoir les ouvrages et les auteurs réguliers des EAF?

Ainsi, il faudrait que de temps en temps, au sein du corpus, on trouve au moins un texte de l’outre-mer, sélectionné pour sa grande qualité et son apport culturel. Par ailleurs, contrairement à ce que disent certains enseignants, nous ne sommes pas formés à enseigner tous les textes puisque nous n’avons pas tous, été formés à enseigner la littérature d’outre-mer, qui peut présenter des spécificités qu’il faut connaître. Il faut être modeste, nous ne savons pas tout. J’ai interrogé des élèves au baccalauréat sur le poème «Femme nue, femme noire» de Senghor, et aucun n’a été capable d’expliquer ce qu’était la négritude! Ils répétaient simplement que la femme était une allégorie de l’Afrique. Ce n’est qu’un exemple et il ne s’agit pas de littérature d’outre-mer, mais, chaque littérature à ses spécificités et c’est aussi cela que l’on doit enseigner à nos élèves, l’originalité, la singularité de chaque œuvre. Enseigner un extrait d’un ouvrage de Chantal Spitz, n’est pas enseigner un extrait d’une œuvre d’Aimé Césaire. Chaque ouvrage répond à un environnement historique, culturel, socio-politique et intime.

Enfin, les enseignants doivent être formés à la littérature d’outre-mer qui est fortement connotée, fortement culturelle. Cette préparation est à deux niveaux : un niveau culturel, connaissances des œuvres, qu’ils obtiendront dans le cadre d’études universitaires ou de la formations continue, mais aussi et surtout une formation pédagogique sur une méthodologie de l’enseignement de la littérature d’outre-mer, qu’ils devraient trouver dans les IUFM, lors de la formation initiale mais aussi, en formation continue, surtout pour les enseignants de la métropole ou d’ailleurs, qui souhaitent faire cet effort.

Dans les commentaires, à la fin de l’enquête, des enseignants se sont dits outrés que nous pensions qu’il est important d’étudier au moins un ouvrage régional, avec les élèves d’outre-mer qui leur sont confiés: «Vivre outre-mer ne constitue pas une raison suffisante, ni même une bonne raison, d'étudier les auteurs d'outre-mer. Certains se sont plaints du fait que nous ne leur demandions pas s’ils étudiaient des auteurs de la littérature corse, picarde ou bretonne avec les élèves. Comme cette enquête s’adresse aux enseignants d’outre-mer, il est normal qu’elle évoque la littérature d’outre-mer. Les auteurs bretons, corses picards, n’ont plus à faire leurs preuves, ils sont partie intégrante de la littérature française donc, la question ne se pose pas : Sainte-Beuve, Maxence Van der Meersch, Albert Samain, auteurs de la Picardie, Chateaubriand de la Bretagne, René Coti de la Corse, tous ont une place au sein de la littérature. La littérature française ne doit pas être seulement une littérature d’auteurs de l’hexagone. Mais, loin de ces querelles d’espaces régionaux, il y a l’élève, au centre de nos préoccupations d’enseignants. Et cet élève «Quel que soit son âge, l’esprit n’est jamais vierge, table rase ou cire sans empreinte.»4 À Genève, par exemple, Il existe plusieurs modèles d’apprentissage qui sont, autant de manières d’envisager la transmission du savoir: le modèle transmissif, béhavioriste et constructiviste et nous aimons à penser que nous oscillons plutôt entre les deux derniers, laissant l’élève utiliser ses acquis culturels, personnels pour évoluer dans son apprentissage de la littérature. Enseigner la littérature d’une région est une marque d’intérêt envers la culture des élèves, qui sont très demandeurs. Nous avons évoqué précédemment l’importance psychologique de ce partage pour les élèves qui acceptent malgré tout, les référents culturels de toutes les œuvres qu’ils étudient en classe, bien qu’ils soient différents des leurs. Comment enseigner sans tenir compte de la personnalité, de la culture et de l’identité des élèves? De très nombreux ouvrages de psycho-pédagogie traitent ce sujet. Pour Rosenblatt, la lecture d’une œuvre se produit à travers les représentations personnelles que le lecteur a de lui-même, du texte et du monde. C’est une expérience « transactionnelle»5 et unique entre le lecteur et l’œuvre.

À la question: quel lecteur veut-on former, Marlène Lebrun, nous met en garde contre une attitude qui ne permettrait pas la formation du lecteur: Quand on se mesure à des textes littéraires dont la richesse vient de la pluralité et de l’ambigüité des sens, mais que l’on est dans la position du professeur, détenteur d’un savoir sur les textes et persuadé par ailleurs qu’il y a des limites à l’interprétation et que tous les sens ne se valent pas, que certaines interprétations sont plus légitimes que d’autres»6 Dans le processus identificatoire, le lecteur-élève peut faire abstraction de sa réalité, mais il s’identifiera plus facilement à ce qu’il connaît le mieux et dans le cas où il ne le pourra pas, il transformera les éléments du récit, les adaptera à sa culture, à sa réalité. Le lecteur que l’on veut former est celui qui saura, seul, interpréter et analyser la lecture. L’enseignant le guide pendant un temps, et s’il faut pour cela établir des liens entre son univers réel, sa culture et le monde fictif de l’œuvre, alors l’enseignant le fera sans aucun doute, dans l’intérêt de ses élèves.

Il serait, selon plus de 85% des enseignants, important que les documents d’accompagnement donnent des pistes d’étude, sélectionnent les ouvrages car, comme dans toute publication, il y a de bons et de mauvais ouvrages. Lesquels sont les plus adaptés à l’enseignement? C’est ce travail que réclament les enseignants d’outre-mer, surtout ceux qui ne sont pas spécialistes de cette littérature, ceux qui changent de collectivité.

Avec quatre collègues de l’académie de la Guadeloupe, nous avons rédigé, à la demande de l’Inspectrice de l’Éducation Nationale, un manuel de lettres pour les lycées professionnels. Cet ouvrage réunissait des textes de plusieurs collectivités d’outre-mer: de la Polynésie, de la Réunion, de la Guyane, de la Nouvelle Calédonie, de la Guadeloupe et de la Martinique. Mais il y avait aussi, les auteurs classiques, les auteurs contemporains de la littérature «française» et étrangère. Ce projet n’a pas intéressé les éditeurs, qui ont affirmé que le marché de l’outre-mer n’est pas suffisamment étendu, pour l’investissement que représenterait l’édition de ce manuel. C’est certes regrettable. La seule possibilité est l’édition de petits manuels, de guides pédagogiques qui peuvent, éventuellement, intéresser les centres de documentation comme les CDDP, CRDP, CTRDP, et valoriser pédagogiquement, certaines œuvres qui le méritent. Ces outils sont très demandés par les enseignants qui découvrent, souvent, par eux-mêmes, la littérature d’outre-mer.

Il apparaît de cette étude, qu’il est important qu’un véritable travail de fond soit mené sur les œuvres d’outre-mer les plus adaptées à l’enseignement de la littérature pour que, d’une part, elle soit enseignable et que, d’autre part, elle cesse d’être culpabilisatrice et enfin, qu’elle soit totalement intégrée à la littérature française, sans connotations restrictives. Cette littérature ne doit pas être enfermée dans sa collectivité d’origine. Elle doit figurer dans les manuels scolaires, être enseignée en métropole, et dans les autres collectivités, elle doit se mêler à la littérature connue et reconnue, et pourquoi ne pas, avoir à son tour, des auteurs classiques, incontournables. En aval, il est important que les documents d’accompagnement ajoutent les œuvres de qualité de la littérature, de chaque collectivité, à leur liste, non limitative, et les autres étapes se mettront en place avec les chercheurs et les enseignants. Que le texte soit de sa région ou d’ailleurs, l’élève-lecteur se l’approprie mais, si l’élève peut réagir à la lecture littéraire, il s’ouvrira plus aisément à ce qu’il connaît. Cette porte sur lui-même lui en ouvrira d’autres sur le monde infini de la littérature. Pour Cogez,7 «la lecture est envisagée comme un déclencheur, un embrayeur d'attitudes, de comportements, d'idées, d'affects, etc.» et le lecteur peut, «s'il le désire, y greffer son histoire».

Christine LARA
Docteur en lettres.

Notes

  1. Bulletin officiel spécial n°9 du 30 septembre 2010. Programme de l'enseignement commun de français en classe de seconde générale et technologique et en classe de première des séries générales et programme de l'enseignement de littérature en classe de première littéraire. «La lecture analytique vise la construction progressive et précise de la signification d'un texte, quelle qu'en soit l'ampleur; elle consiste donc en un travail d'interprétation que le professeur conduit avec ses élèves, à partir de leurs réactions et de leurs propositions».
     
  2. Programme de l'enseignement de français en classe de seconde générale et technologique, BO n°41 du 7 novembre 2002.
     
  3. Programme d’enseignement de français en classe de première des séries générales et technologiques, BO n°40 du 2 novembre 2006.
     
  4. Département de l'instruction publique du canton de Genève; Site officiel de l'enseignement de la physique de l'enseignement secondaire.
     
  5. ROSENBLATT, L, The reader, The text, the poem: the transactional theory of the literacy work, Southern Illinois University Press, 1978.
     
  6. LEBRUN, Marlène, alii, Le sujet Lecteur, Lecture subjective et enseignement de la littérature, PUR, Rennes, 2004.
     
  7. COGEZ, Gérard, «Premier bilan d'une théorie de la réception», dans Degrés, 12e année, no 39-40, automne-hiver 1984, p. d1-d16.

Abstract:

This article seeks to demonstrate awarded literature overseas programs, textbooks and teachers carrying letters corpus share in overseas. It presents the analysis of the results of a survey of teachers of overseas between 2007 and 2009. It appears from this study, it is important that real substantive work is conducted on the works of overseas the more adapted to teaching literature, on the one hand, be teachable and that, on the other hand, it ceases to make teachers feel guilty and finally, that it is fully integrated to French literature, without restrictive connotations. This literature should not be confined in its community of origin. It must be included in textbooks, be taught in metropolitan France and in other communities, it must mingle literature known and recognized, and why not having to turn conventional, compelling writers.

boule

 Viré monté