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La Martinique après le débat sur les articles 73-74

28. Colonisation, migrations et xénophobie

Jean Bernabé

15. Avril 2011

L’invasion allemande du sol français lors de la deuxième guerre mondiale a été vécue comme d’autant plus humiliante qu’elle mettait la France en position subalterne de colonisée alors qu’elle se trouvait dans le même temps en position prépondérante de colonisatrice dans une grande partie de la planète. Sans  ce paradoxe, sans ce choc, on ne peut comprendre ni la vigueur du mouvement français de résistance contre l’envahisseur, ni la violence de la répression du gouvernement français à Madagascar et  à Sétif, au lendemain même de la victoire sur le nazisme.

L’occupation allemande, opération répétitive dans l’Histoire, fut l’expression de conflits multiséculaires entre frères, opposant selon les époques les Français aux Anglais, Espagnols, Italiens et Allemands. Il y a pour le Français deux sortes d’étrangers: l’étranger proche, européen, qui est d’une famille collatérale. Une fois refoulé le frère agressif sur ses terres, l’épopée coloniale n’en continue pas moins dirigée contre l’étranger éloigné, qui ne relève pas de la même famille, voire qui appartient à une famille inférieure en humanité. L’expérience de l’invasion n’a pas constitué  pour les gouvernants une cause de retour critique sur soi-même.

Expériences de la colonisation intérieure et de la colonisation extérieure

La colonisation française a toujours été une colonisation extérieure (ou exo-colonisation) parce que l’Étranger absolu se trouve forcément au loin, à l’extérieur des frontières géographiques. À l’opposé, les USA, avec leur révolution dans le dernier quart du XVIIIème siècle, ont de colonie été transformés en pays indépendant. S’ils étaient restés une colonie, la colonisation ultérieure du territoire américain aurait relevé d’une colonisation extérieure, dont les colons européens auraient été les auxiliaires et les opérateurs locaux. Mais avec l’indépendance, la colonisation des terres indiennes est devenue une colonisation intérieure (ou endocolonisation). Cela signifie que le rapport du colon européen d’origine anglaise avec les colonisés amérindiens cessait d’être un rapport d’extériorité géographique, pour devenir une relation d’intériorité. En d’autres termes, l’Autre cessait d’être un Étranger géographique, pour devenir un l’Étranger socioculturel. D’où la ségrégation et le communautarisme, progressivement mis en place aux États-Unis, comme correspondant à des données normales, ne faisant que traduire la réalité de la diversité des strates socio-historiques et socio-économiques des USA.

La République Française, quant à elle,  a toujours eu beau jeu de récuser le communautarisme tant que la diversité des communautés n’affectait pas à un niveau élevé son sol. La diversité, elle, ne se trouvait à l’œuvre que dans la colonie, forcément extérieure géographiquement. Mais l’espace légal de la République ne se ramène pas à l’espace géographique de l’Hexagone. Aussi, les Antilles, vieilles colonies françaises depuis 1735, ont-elles constitué un problème. Géographiquement américaines, mais juridiquement françaises! La loi de départementalisation a tenté de réduire ce paradoxe en inventant une décolonisation par assimilation.

Un effet-boomerang?

Il ne faut pas oublier l’effet-boomerang des indépendances des années 1960. Ces indépendances ont créé de grands espoirs mais étaient minées par de nombreux problèmes inhérents en partie aux  nouvelles gouvernances, qui étaient majoritairement le fait de satrapes héritiers de conceptions plus nationalistes démagogiques que socialistes. Dans les rares cas où les dirigeants avaient pour objectifs la justice sociale, ils n’ont pas toujours pu sortir de pièges tendus par le néo-colonialisme. En sorte qu’un nombre plus ou moins important des ressortissants des nouveaux États, au lieu de pouvoir rester dans leurs pays d’origine pour participer au développement respectif de ces derniers, ont cru pouvoir trouver le salut dans l’émigration. Il était prévisible que les citoyens des divers pays ex-colonisés soient et demeurent tous inscrits dans les circuits de communication passant par la France, leur ancienne métropole.

Quand ils migrent vers la France, les ex-colonisés (devenus des néo-colonisés) acquièrent une certaine ambiguïté: ils sont étrangers, parce que non nationaux, mais ce sont des étrangers un peu atypiques, puisqu’ils ont noué pendant de longues décennies des relations avec cette métropole. Ils sont alors vécus comme des envahisseurs d’un genre particulier, tout à la fois proches (en raison des liens historiques) et lointains, parce qu’inscrits dans une autre aire géoculturelle. Ils excitent par là même les fantasmes les plus divers. Leurs migrations vers l’ancienne métropole apparaissent comme une manière de conquête en retour, dans une perspective de revanche historique. L’inconscient des anciens conquérants se sent donc interpellé par les turpitudes coloniales de leurs pères qu’ils vont attribuer aux nouveaux envahisseurs.

Pourquoi nier que dans l’inconscient collectif des Français (notamment dans sa version droitière), contaminant même les adeptes d’une certaine gauche, l’immigration actuelle  soit vécue comme la «monnaie de la pièce» rendue sous une autre forme, par les anciens colonisés ? En d’autres termes, si des générations de Français de base, dans la logique républicaine de Jules Ferry, ont acquiescé à la colonisation, considérée comme chose normale, voire pourvoyeuse de progrès pour les colonisés, en revanche, une certaine frange des Français de base d’aujourd’hui ne supporte pas ce qu’elle croit percevoir comme un effet-retour de la colonisation organisée par ses pères.

Migration et colonisation

Migration n’est pas forcément colonisation. La traite négrière et l’esclavage correspondaient à une pratique volontaire et plus ou moins bien contrôlée d’une migration de type intercontinental. Ils  n’étaient pas le moins du monde source d’inquiétude dans la métropole, dans la mesure où cette dernière avait pris soin d’en exclure la pratique culpabilisante sur son sol européen. Pas vu, pas connu! S’il est absurde d’affirmer que les esclaves étaient des colonisateurs, même si pour les populations amérindiennes, ils ont pu apparaître comme des envahisseurs, différents, certes,  des Européens, en revanche, il est évident qu’ils ont été mis au service de l’entreprise colonisatrice européenne. De même, l’assimilation contemporaine des migrants à des colonisateurs correspond à une réalité purement subjective et idéologique. Elle n’est pas pertinente dans la mesure où il n’y a pas prise objective de pouvoir par eux. Bien au contraire, les migrants appartiennent aux couches les plus démunies et les plus enfermées dans l’exclusion sociale. Mais c’est aussi parce que la migration est un phénomène informel et assez difficilement contrôlable que le migrant fait peur. Il apparaît comme une sorte d’hydre échappant à la vigilance des nationaux dont il pénètre les frontières nationales. Lesdits nationaux justement se posent aussi comme des nationalistes, dont la xénophobie (latente ou patente) est activée par une sorte de peur panique de l’Autre.

Les hommes ou femmes politiques dont l’idéologie humaniste abstraite récuse le rejet de l’Autre soutiennent moralement, et parfois, il est vrai, dans des actions concrètes, les migrants, condamnant par là même les détracteurs de ces derniers. Ils le font aussi longtemps que dans leur vie personnelle, ils n’ont pas à subir les effets quotidiens des réactions (fantasmatiques ou non) générées par ce que certains vivent comme une invasion migrante, invasion d’autant plus inquiétante par temps de crise. Inquiétante parce que la rencontre des cultures se fait sur des bases d’insécurité de part et d’autre. Inversement, ceux des politiques qui ont pour fonds de commerce le populisme sont habiles à capter et exploiter les sentiments anti-migratoires à l’œuvre ou exacerbés dans les classes populaires, sans se poser la question de savoir si oui ou non, tous les migrants «prennent le travail» des nationaux.

Le verbalisme électoraliste français comme diversion et alibi

Les amalgames s’accumulent et tous les signes qui rappellent l’Étranger dans tous les domaines où il donne à voir son «étrangeté» sont vécus comme une ostentation, une provocation, voire une agression. Dans la France actuelle, le discours des partis de gouvernement sur les migrants sature les positionnements politiques et font l’objet de diatribes sans fin. Elles servent d’alibi à une vraie politique de justice sociale. La fonction de ce discours est, je le redis, d’enfumage idéologique. Véritable diversion, ce verbalisme ne fait que conforter les postures se donnant pour humanistes ou, au contraire, les positionnements s’affirmant de plus en plus clairement xénophobes, évitant à la corporation politique de mettre en oeuvre les réponses concrètes à l’injustice sociale. Il n’a de cesse de stigmatiser et vilipender X ou Y, auteurs de tel propos jugé antirépublicain, même si le propos en question est en réalité cyniquement réaliste. L’idéologie xénophobe résulte en partie d’un relent de l’esprit «petit-Blanc», qui, ne se consolant pas de l’effondrement de l’Empire colonial français, tend à se diffuser d’autant plus aisément que la crise économique et surtout sociale s’approfondit.

«UMPS» et FN

Madame Le Pen, avec des  arguments polémiques et caricaturaux met l’UMP et le PS «dans le même panier». Ces partis dits de gouvernement, sont, il est vrai, des républicains affirmés et, surtout, auto-affirmés, mais leur républicanisme n’embraye pas sur une gouvernance démocratique, c'est-à-dire au service des intérêts véritables du peuple. À aucun moment, ils n’ont proposé une réforme radicale du système-clé de redistribution qu’est la fiscalité. Dans une telle réforme, la TVA, impôts scélérat parce que non sélectif, n’est amendé que dans l’intérêt de telle ou telle corporation, comme celle des restaurateurs, avec les résultats scandaleux que l’on sait.

Les partis de gouvernement, qui reconnaissent partager les mêmes valeurs républicaines, afin de rejeter, comme il se doit, Marine Le Pen dans les ténèbres extérieures, se contentent de réformettes  fiscales! Quant à la lutte contre les conflits d’intérêts ou encore les dispositions visant à l’indépendance de la justice, elles sont encore plus qu’embryonnaires. De la sorte, la confusion, que j’ai à maintes reprises, dénoncée entre les concepts de république et de démocratie, continue ses ravages. Redisons-le: un pays est républicain ou ne l’est pas. Par contre, une république est plus ou moins démocratique. La démocratie n’existe pas en soi. Il y a «de la démocratie» et non pas «la démocratie», parce qu’il s’agit là d’une ressource à taux variable, selon les pays et selon les politiques mises en place. Quand j’entends dans la bouche de politologues patentés que la France est une «vieille démocratie», ne le disent-ils pas au motif que la république y est installée depuis plus d’un siècle? Quand ils affirment que l’Inde est une «grande démocratie», ne serait-ce pas en raison de l’immense étendue de son territoire et de l’importance considérable de sa population? Il n’empêche que la France et l’Inde ont un taux de démocratie infiniment supérieur à celui de la Chine, république ostensiblement non démocratique. Le Front National, quant à lui, dans son discours new-look, mais toujours aussi xénophobe, semble avoir enfin découvert les vertus de la république, mais au lieu d’assortir cette dernière de la démocratie, son nouveau leader s’avère incapable d’aller au-delà de la démagogie.

Pendant le déroulement de ces diatribes rhétoriques, l’idéologie du «renvoyez-les dans leurs bateaux!» s’installe, au mépris des causes véritables expliquant les divers mouvements intercontinentaux de populations depuis que le monde est monde.

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