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Nous sommes venues de loin

Marlène Rigaud Apollon

Texte d’un Editorial écrit pour Radyo Solidarite
Et pour le Bulletin hebdomadaire du Centre National de l’Apostolat Haïtien

Brooklyn, NY

16-20 Mars 2011 – à l’occasion du Mois de la Femme

Femmes haïtiennes

Femmes et enfants haïtiens, mai 2010. Photo Alfonso Zirpoli.

L’annonce de la mort de l’écrivaine Paulette Poujol Oriol le vendredi 11 mars dernier m’a prise par surprise.  Depuis plusieurs jours, son nom était dans ma tête tandis que je préparais cet éditorial sur les triomphes et les misères de la Ligue Féminine d’Action Sociale dont elle était la présidente à sa mort.

Quand j’ai quitté Haïti en 1964, j’étais certainement consciente des inégalités sociales, économiques et de celles entre hommes et femmes toutes aussi criardes les unes que les autres qui y existaient.  Mais bien que je me souviens de l’enthousiasme des jeunes de ma génération pour des projets d’aide et de support aux démunis, de visites aux malades, d’évangélisation et d’alphabétisation – projets auxquels l’expulsion de  nombres de membres du clergé tant étranger qu’haïtien avait brutalement mis fin, à notre grand effroi à tous --  je n’ai aucun souvenir  d’avoir jamais pris part à une discussion quelconque sur la condition des femmes, en particulier sur leur statut de ce qu’on appelle aux Etats-Unis, «Second Class Citizen» Citoyennes de seconde Classe» ou pire quelle que fut leur rang social. 

La triste vérité est qu’il n’y en avait pas, je devrais dire plus exactement, qu’il n’y en avait plus. Dans l’Haïti d’alors, la voix des femmes tout comme celles de tous ceux qui osaient élever la leur pour une opinion contraire à la règle d’Etat s’était tues pour causes d’interdictions, de répression, de disparition, d’élimination, d’exile ou, tout simplement – bien qu’à bien considérer pas si simple que ça -- par peur.  Que l’on dise ce que l’on veut, il me vient encore des angoisses rien qu’à y penser.

Et parce que, justement, celles et ceux qui auraient pu nous instruire à ce sujet n’étaient plus là ou que celles et ceux qui restaient avaient pris l’habitude, comme je le dis dans mon poème «Je ne suis pas née brave» de  Cris de colère, Chants d’espoir, d’avoir peur «de parler l’incorrecte parole»  je ne savais rien ou pas grand-chose de la longue lutte des femme haïtiennes, en particulier de celles de La Ligue Féminine d’Action Sociale pour leurs droits. Et pourtant, c’est par elle que le mouvement pour l’émancipation de la femme haïtienne avait commencé.

L’année de sa fondation : 1934.  Ce n’est surement pas par hasard que cette date coïncide avec celle de la fin de l’occupation américaine qui, commencée en 1915 avait duré près de 20 ans. Tous les rêves étaient permis y compris ceux des femmes pour l’accès à l’égalité de leurs droits avec ceux des hommes. On peut donc imaginer l’enthousiasme qui avait dû les animer et les propulser à l’action. On peut aussi imaginer quelle menace au statu quo elles représentaient!

Parmi les fondatrices: Madeleine Sylvain, plus tard, Sylvain-Bouchereau, par son mariage, cousine de ma grand-mère paternelle, et Alice Garoute, respectivement première présidente et première vice-présidente.  Les autres officiers étaient  Fernande Bellegarde, Olga Gordon, Thérèse Hudicourt, Marie Covington, Alice Téligny-Mathon, Esther Dartigue, Maud Turian, Georgette Justin, toutes capables et déterminées à atteindre leurs buts même au prix de sacrifices.

Leurs premiers objectifs, formulés dans leurs statuts, étaient de

  1. Contribuer à l'amélioration physique, intellectuelle et morale de la femme haïtienne pour la rendre consciente de ses devoirs sociaux;
     
  2. Résoudre les problèmes concernant la protection de l'enfant;
     
  3. Faire reconnaître l'égalité civile et politique de l'haïtienne.

Objectifs qui leur valurent l’interdiction de fonctionner de la part du gouvernement de Sténio Vincent d’alors et qu’elles réduisirent en «Amélioration physique, économique et sociale de la femme haïtienne» sans pour autant modifier leurs intentions, comme leurs actions le démontrent.

Ainsi, dès leur fondation, elles publient leur revue La voix des femmes qui, en 1937, devait obtenir une médaille d'argent à l'Exposition de Paris pour la haute portée sociale de son action.

Elles établissent des filiales à travers le pays, Port-de-Paix (février 1935), Saint-Marc (1935 aussi), Les Cayes (octobre 1936), Jacmel (1937), Pétionville, Léogane, Gonaïves, Cap-Haïtien, etc. élargissant leur champ d’action et le nombre de leurs adhérentes. Parmi ces dernières, on peut nommer, Yvonne Rimpel, Jeanne Sylvain.

Elles entreprennent des campagnes de  sensibilisation et d’éducation civique de la femme, organisent des cours du soir pour les ouvrières des quartiers populaires, pétitionnent pour l'augmentation du nombre des écoles, etc.

Les progrès furent  lents mais cela ne les découragea pas car leur vision de longue échéance allait au-delà d’elles-mêmes, comme Madeleine Sylvain-Bouchereau l’a affirmé:

«Nous avons foi dans le succès. Qu’importe qu’il brille seulement pour ceux qui nous suivront, pourvu que nous ayons contribué à instaurer la justice et la démocratie dans notre pays».

En attendant, elle accumulait les dossiers d’importance académique et éducative sur la femme haïtienne et sur Haïti, tels que: 

  • Haïti et ses Femmes (publiée en 1941)
  • L’éducation des femmes en Haïti (1944) pour lequel elle a obtenu le prix Susan B Anthony de  l’université Byrn Mawr en  PA
  • Les Droits des femmes et la nouvelle Constitution (1946)
  • La Classe moyenne en Haïti (1950) dans Matériaux pour l'étude de la classe moyenne en Amérique Latine, (Publications du Département des Sciences sociales, Union panaméricaine, Washington, D.C., 1950.)
  • La Famille Renaud, 2 vol. (Manuels scolaires de lecture)
  • Des bulletins pour les instituteurs ruraux;
  • Haïti, portrait d'un pays libre (édité en allemand), 1954 qu’il aurait été bon de lire aujourd’hui.

On découvre une double-vision similaire chez Alice Garoute qui, d’un côté, avait déclaré,

«La conquête de nos droits n’est qu’une partie de notre programme. Notre ligue est surtout éducative et  même si nos frères ne nous élèvent jamais au rang de citoyennes d’Haïti, nous poursuivrons notre œuvre de pitié et de solidarité envers les femmes du peuple et les paysannes»

D’un autre côté, elle insistait

«Nous lutterons avec courage et persévérance jusqu’au triomphe de la Justice;  nous lutterons pour renverser les barrières qui limitent notre champ d’action jusqu'à les rendre inexistantes».

Quelques heures avant sa mort, survenue le 30 octobre 1950,  peu de jours temps avant que les femmes obtiennent finalement le droit de vote, sa dernière pensée fut pour les droits des femmes: «Nous aurons la victoire» dit-elle. Et son dernier vœu fut celui-ci: «Je désire que le jour où les femmes voteront pour la première fois, une délégation vienne déposer des fleurs sur ma tombe», exprimant combien cela lui tenait à cœur.

Quelques jours plus tard, le 4 novembre 1950, les femmes haïtiennes obtenaient finalement le droit de voter mais elles devaient attendre jusqu’en 1957 pour l’exercer.

La mémoire d’Alice Garoute se perpétue à travers le Foyer Alice Garoute, fondée par Madeleine Sylvain Bouchereau pour «la formation des jeunes filles rurales». Il fonctionne encore de nos jours et Paulette Poujol Oriol en était la directrice.

Deux autres grandes réalisations de La Ligue furent

  1. Le premier congrès national des femmes haïtiennes, présidé par la Première dame Lucienne Heurtelou Estimé et réunissant les déléguées de 44 associations féminines haïtiennes et 32 déléguées de 17 organisations étrangères et internationales.
     
  2. La publication en 1954, à l’occasion du Tri cinquantenaire de l’Indépendance d’Haïti, de Femmes Haïtiennes (Imprimerie Henri Deschamps 1954) pour «établir le bilan des réalisations féminines dans les siècles passés et préciser l’apport de la Femme Haïtienne dans le patrimoine national»  Quelle magnifique idée ce fut! Quel magnifique hommage à la Femme Haïtienne!

Malheureusement, en 1957, la Ligue fut expulsée de son local, ses archives jetées à la rue. Puis, en janvier 1958, la journaliste Yvonne Rimpel membre active de la Ligue fut sauvagement molestée et laissée pour morte pour ses critiques contre le gouvernement, rapporte-t-on. Les protestations écrites signées de 36 de ses collègues de la Ligue restèrent sans effet. Peu à peu, plusieurs de ses membres forcées à se cacher ou à s’exiler, la Ligue cessa ses activités. Il avait fallu attendre 1986 pour qu’elle ressuscite, 1987 pour l’élection de la première femme Sénateur d’Haïti, Myrlande Manigat, aujourd’hui candidate au deuxième tour à la présidence avec la possibilité qu’elle devienne la première femme élue présidente d’Haïti.

Soixante-seize ans après la fondation de la Ligue Féminine d’Action Sociale, on pourrait demander aux femmes haïtiennes de l’année 2011 la question favorite des politiciens américains, «Are you better off?»  Est-ce que votre situation est meilleure qu’elle l’était pour ces femmes de 1934 qui ont lutté pour vous, pour nous toutes et pour Haïti?  Et une deuxième: Leur êtes-vous reconnaissantes? Questions qu’il faudrait reposer à la fin du mandat de Présidente Manigat, si elle est élue.  Dans le cas contraire, devrait-on y lire un ferme «Non»?

À quelques jours de ces élections qui pourraient voir l’accession de la première femme élue à la présidence du pays, je me demande quelle importance cela a pour les femmes d’aujourd’hui. Quelle importance cela avait pour Paulette Poujol Oriol. Je pense qu’elle en aurait été heureuse. Et je crois savoir quelle importance cela aurait eu pour les pionnières de la Ligue féminine d’action sociale. Quoi qu’il en soit, la lutte des femmes haïtiennes pour leur droit au respect et pour le respect de leurs droits doit se poursuivre.

Honneur, Respect aux femmes de la Ligues Féminine d’Action Sociale, à toutes celles qui, après elles ont lutté au cours de plusieurs décennies pour cette même cause et aux hommes qui les ont accompagnées.  Honneur Respect à Paulette Poujol Oriol. Quelle trouve sa récompense pour tout le bien qu’elle a accompli.

Honneur, Respect et Sincères Compliments au Dr. Marie O. Étienne de l’Archidiocèse de Miami, choisie Femme Haïtienne de l’Année par le Centre National et le staff de Radio Solidarité et du Bulletin Hebdomadaire, pour son profond dévouement à la communauté et ses admirables accomplissements académiques, un exemple pour tous!

Honneur, Respect à vous tous.

Marlène Rigaud Apollon

boule

 Viré monté