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Sur le toit de la planète Tennis

Hugues Saint-Fort

Cet article est une mise à jour de l’article intitulé «Naomi Osaka représente-t-elle le triomphe du multiculturalisme?» que j’ai publié sur certains forums haïtiens de discussion en date du vendredi 7 septembre 2018.

Qui aurait prédit que cette finale entre Serena Williams et Naomi Osaka se serait terminée de cette façon? Après avoir gagné haut la main le premier set 6-2, prenant deux fois le service de Serena, Naomi Osaka dut batailler ferme pour tenter de faire jeu égal avec son adversaire, déchainée dans le second set. C’est alors que le drame commença. Le match devint d’une intensité insoutenable après que l’entraineur de Serena Williams, le Français Patrick Mouratoglou, eut été surpris en train de lui donner des instructions, ce qu’elle dénia vigoureusement. La situation monta d’un cran et les échanges entre l’arbitre et Serena Williams devinrent quelque peu brutaux, (Serena Williams traita l’arbitre de «voleur»: «you are a thief») jusqu’à amener l’arbitre à pénaliser la championne en lui enlevant un jeu complet. Naomi Osaka a-t-elle tiré parti de la colère de Serena en reprenant confiance dans son jeu pour mener et finalement remporter le set et le match? De toute façon, pour avoir joué un superbe premier set en dominant Serena de la tête et des épaules, Naomi Osaka mérite certainement sa victoire et son premier grand chelem. Surtout, elle empoche plus de 3 millions de dollars, ce qui est fantastique pour une jeune fille de 20 ans.

Dans mon article d’hier, j’ai taché de mettre l’accent sur la réussite sportive de Naomi Osaka en tenant compte des difficultés qu’elle a dû endurer, en tant que métisse haitiano-japonaise, dans une société japonaise bien connue pour son obsession raciale et sa mise à l’écart des étrangers. Dans quelle mesure, ai-je questionné, Naomi Osaka représente-t-elle le triomphe du multiculturalisme? En me basant sur un article de fond paru dans le New York Times le mois dernier, et à partir de ma compréhension du multiculturalisme définie comme la coexistence et l’épanouissement de traditions culturelles différentes, j’ai montré comment Naomi Osaka a conservé les traditions culturelles (la langue créole, la cuisine haïtienne) du pays de son père, Haïti, et celles (la langue japonaise, la cuisine japonaise, les vêtements japonais) du pays de sa mère, le Japon. Un collègue linguiste avec qui j’échange souvent en privé et sur Facebook m’a fait remarquer que le danger de mon analyse, telle qu’elle est représentée par ma conclusion: «…celle qui a su réaliser le mixage des cultures haïtienne et japonaise, preuve que le multiculturalisme, quand il est bien encadré, peut réussir…», peut porter à faire croire qu’une personne unique peut devenir un symbole pour des millions d’autres. Autrement dit, Naomi Osaka, à elle seule, ne peut justifier le triomphe du multiculturalisme. Le point fort de l’argument de mon collègue était que c’est ce type de raisonnement qui constitue la base des racistes de l’extrême-droite pour qui tous les Noirs par exemple sont des voleurs parce qu’on a mis la main sur deux ou trois Noirs qui ont commis des vols. Je dois dire que j’ai hésité avant d’énoncer la conclusion du triomphe du multiculturalisme à partir du seul exemple de Naomi Osaka. L’argument de mon collègue tient bon la route car l’échantillon statistique, tel que je l’ai présenté, se trouve certainement trop faible. Il reste que Naomi Osaka en tant qu’individualité, force le respect et l’admiration.

Pour en revenir à la finale, il est dommage qu’elle se soit terminée plus ou moins en queue de poisson, avec les deux joueuses déversant des torrents de larmes qui n’étaient pas des larmes de joie et le public lançant des huées et des sifflets à n’en plus finir.

Hugues Saint-Fort
New York, 8 septembre 2018     

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Naomi Osaka représente-t-elle le triomphe
du multiculturalisme?

Hugues Saint-Fort

J’ai «découvert» Naomi Osaka par  un bel après-midi d’août 2014 au tournoi de  l’US Open, à New York, sur le «grandstand», généralement considéré par les habitués de Flushing Meadows comme le tombeau des vedettes. Ce jour-là, Samantha Stosur, une Australienne tout en muscles qui avait remporté la finale en 2011en battant Serena Williams et était classée numéro un en doubles chez les dames, affrontait une jeune joueuse largement inconnue du grand public américain en général, Naomi Osaka. Elle représentait une sensation à Flushing Meadows: jeune adolescente (elle n’avait que 16 ans à l’époque), métisse d’une mère japonaise et d’un père haïtien, elle livra contre Stosur une bataille acharnée qui dura 2 heures et demie et au bout de laquelle elle finit par terrasser l’Australienne. Je me suis mis alors à m’intéresser à cette adolescente hors norme, non seulement parce qu’elle  possédait un coup droit puissant et un sens du placement sur le court étonnant pour une si jeune joueuse, mais aussi à cause de ses origines ethniques. Mon intérêt pour la sociologie multiculturaliste s’était quelque peu assagi mais l’émergence du cas «Naomi Osaka» venait de relancer ma curiosité. En effet, comment cette jeune haitiano-japonaise pouvait-elle supporter la pression de grandir dans une société qui semblait être fière de son «unité» ethnique en se refermant sur elle-même? L’histoire récente nous avait appris la mauvaise réputation des Japonais acquise durant la seconde guerre mondiale auprès des Coréens. Dans une société dont «l’obsession de la pureté raciale» confine presque au racisme, le statut de minorité visible chez Naomi Osaka a dû peut-être lui coûter de multiples désillusions et peut-être même certaines humiliations au Japon Dans un magnifique article du New York Times Magazine en date du 23 août 2018 intitulé «Naomi Osaka’s Breakthrough Game», Brook Larmer raconte longuement la vie compliquée des parents de Naomi Osaka, Tamaki et Léonard Maxime François, qui ont dû dissimuler leur union pendant longtemps au Japon à cause de la formidable opposition affichée par le père de Tamaki.  Larmer rapporte dans son article cité plus haut que, ayant appris que Tamaki sortait avec «a foreigner who also happened to be black, her father erupted in outrage, excoriating her for bringing disgrace on the family.» (un étranger qui s’est trouvé être un Noir, son père éclata dans un sentiment d’intense indignation, fustigeant Tamara d’avoir apporté le déshonneur dans la famille) [ma traduction]. Selon l’article de Brook Larmer, pendant plus de dix ans, Tamaki n’eut aucun contact avec sa famille au Japon.

Le déménagement aux États-Unis

A l’âge de trois ans, Naomi et sa sœur Mari déménagèrent avec leurs parents aux États-Unis. C’est là, raconte Brook Larmer, que Léonard Maxime François découvrit Venus et Serena Williams, dont le père Richard Williams, avait initié les deux sœurs au tennis, bien qu’il ne jouait pas au tennis lui-même. Léonard François qui connaissait un peu le tennis décida alors de suivre les traces de Richard Williams en élevant deux futures championnes. Ainsi commença la carrière de championne de Naomi Osaka. A Long Island où elle vécut pendant cinq ans chez ses grands-parents paternels, d’après l’article de Brook Larmer, Naomi Osaka raconte qu’elle «grew up surrounded by both Haitian and Japanese culture…» «Her father’s parents, who spoke no English, filled the air with Haitian Creole and the aroma of spicy Haitian stews. Her mother spoke to her and her sister in Japanese, preparing seaweed-and-rice-ball snacks for them at school and dressing them in kimonos for international day.» (grandit entourée par la culture haïtienne et japonaise…). (Les parents de son père, qui ne parlaient pas un mot d’anglais, remplirent l’air de créole haïtien et d’arôme de délicieux mets haïtiens piquants. Sa mère s’adressait à elle et à sa sœur en japonais, et préparait pour elles des mets japonais typiques quand elles allaient à l’école et les habillait avec des kimonos quand elles allaient aux journées internationales.) [ma traduction].

Si je ne me trompe, Naomi Osaka n’a perdu aucun set durant ses six matchs joués et gagnés à cet US Open et a pratiquement  démoli toutes ses adversaires, y compris Madison Keys, finaliste de l’année dernière. Tennistiquement parlant, elle possède toutes les qualités pour battre demain soir Serena Williams. Elle peut rivaliser d’athlétisme, de puissance au service, et de frappe de balle avec Serena et surtout, son jeu de placement sur le court est admirable.  Peut-être qu’elle risque d’être intimidée par les enjeux de la partie: vaincre celle qui a longtemps été son modèle et son idole, se placer parmi les dix premières joueuses de tennis au monde et, devenir la première joueuse de tennis japonaise à gagner un tournoi du grand chelem. Quelle revanche pour une métisse dénommée «hafu» (de l’anglais «half») au Japon, comme est surnommée toute personne de race mixte. Cependant, Naomi ne craint pas les grandes occasions et adore y briller.

Comment expliquer cette ascension fulgurante d’une adolescente qui s’est jouée de la pression implacable exercée par son milieu d’origine obsédé par l’homogénéité raciale? Qu’elle gagne contre Serena demain soir ou qu’elle soit battue par elle, Naomi Osaka aura accompli l’impossible: grimper au sommet du tennis mondial dans des conditions psychologiques négatives extraordinaires. Devra-t-on la considérer comme le triomphe du multiculturalisme, compris comme la coexistence et l’épanouissement de traditions culturelles différentes? Comment y est-elle parvenue? Incontestablement, son père, Léonard François, Haïtien d’origine, en s’inspirant du père de Venus et Serena, mais aussi grâce à son intelligence et à sa persévérance, y a contribué énormément. Mais, Naomi aura été, en dernière analyse, celle qui a su réaliser le mixage des cultures haïtienne et japonaise, preuve que le multiculturalisme, quand il est bien encadré, peut réussir, quoiqu’en disent les partisans de l’extrême-droite occidentale alliés aux nouveaux nationalistes de tout poil, représentés par les Viktor Orban, Matteo Salvani, Recep Tayyip Erdogan ou les défenseurs du Rassemblement National en France.

Hugues Saint-Fort
New York, 7 septembre 2018        

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