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Mon bouillon d’actualités 4ème semaine

Hugues Saint-Fort

Résumé:

Parmi les faits marquants de la semaine qui vient de s’écouler, je retiendrai  les hypothèses qui n’en finissent pas autour de l’assassinat du président Jovenel Moïse, la présence au festival de Cannes du premier long métrage de la jeune réalisatrice haïtienne Gessica Généus, et les liens entre le foot et le racisme, tels qu’ils se sont révélés après la défaite de l’Angleterre en finale de l’Euro 2021.  

A en juger par la vigueur et l’intensité des spéculations sur l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet dernier, nous en avons encore pour longtemps.  L’une des plus récentes révélations émane d’un journal colombien selon lequel ce serait le Premier Ministre haïtien par intérim, Claude Joseph, qui serait responsable de l’assassinat du président Jovenel Moïse. Apparemment, personne ne serait en mesure maintenant d’affirmer avec certitude qui aurait tué le président et mutilé son cadavre, tel qu’il a été révélé par les photos apparues sur le Net. Cela ne veut pas dire qu’on ne pourra jamais découvrir les auteurs de cet assassinat. Un vieux proverbe haïtien proclame que «Twou manti pa fon» (Un mensonge n’est jamais profond). Cela prendra peut-être quelque temps pour que soient révélés les auteurs de l’assassinat et les conditions précises dans lesquelles il s’est déroulé.  Cependant, ceux qui suivent l’évolution de l’histoire et de la situation politique d’Haïti depuis plusieurs décennies ont déjà une claire idée des raisons pour lesquelles le président Moïse a été assassiné. Pour l’excellent analyste Dr. Jean Fils-Aimé, grand spécialiste de la culture et de la politique d’Haïti, le président Jovenel Moïse aurait été victime d’une conjugaison de feux nourris provenant de trois directions différentes mais tendant au même but. Il y aurait d’abord le sceau de l’impérialisme américain et de ses intérêts géopolitiques, puis l’action directe et décisive des oligarques établis en Haïti, et finalement les luttes internes qui ont secoué le parti politique haïtien connu sous le nom de PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale) auquel Jovenel Moïse lui-même appartenait.

D’abord, l’impérialisme américain. C’est en juillet 1915, avec l’invasion et l’occupation d’Haïti par les «Marines» qu’Haïti tomba sous le joug de l’impérialisme américain. Jusque-là, malgré une présence américaine de plus en plus importante, plusieurs intérêts économiques européens (français et allemands surtout) s’affrontaient pour le contrôle de l’économie haïtienne. Le prétexte pour pénétrer sur le sol haïtien lui fut fourni par la grande instabilité politique et économique qui régnait en Haïti entre 1911 et 1915, «when six presidents succeeded one another in office, culminating with the lynching of the last one», (quand six présidents haïtiens se succédèrent au pouvoir, avec le lynchage du dernier, Vilbrun Guillaume Sam.) [ma traduction de Zéphir 2004:45]. Signalons que vers la même époque, l’impérialisme américain occupa aussi Cuba, les Philippines et la République dominicaine. Pour comprendre la mainmise totale de l’impérialisme américain sur Haiti, lire l’excellent article du politologue haitien Robert Fatton paru dans le magazine «Jacobin», 2021.

Les Américains occupèrent Haïti pendant dix-neuf ans, de 1915 à 1934, rencontrèrent une certaine résistance, particulièrement de la part de plusieurs groupes de paysans haïtiens connus sous le nom de «cacos» sous les ordres d’un notable de l’époque, Charlemagne Péralte, qui fut malheureusement trahi et abattu par les forces américaines en octobre 1919.

Depuis cette époque, l’impérialisme américain maintient un contrôle total de la politique et de l’économie haïtienne. A l’exception de Jean-Bertrand Aristide qui fut élu avec 67 pourcent du vote général en décembre 1990, aucun président haïtien n’a été élu sans la bénédiction des autorités américaines.

Les oligarques qui opèrent en Haïti sont pour la plupart d’origine étrangère, surtout des Syro-Libanais. Cependant, un certain nombre a pris naissance en Haïti. Certains observateurs estiment que l’économie haïtienne est sous le contrôle presque absolu de ces oligarques qui sont milliardaires en dollars américains et sont représentés par une douzaine de familles. Selon l’hebdomadaire haitiano-américain, the Haitian Times, «these families control 90% of Haiti’s wealth…they allow the political class to exist to protect their narrow personal interests…They hold honorary diplomatic titles to their country of origin. That means they pay no taxes because, after all, they are diplomats…They own private ports with little oversight from the government…These people have had their knees on the necks of the Haitian masses for more than a century…»  (ces familles contrôlent 90% de la richesse d’Haiti…elles permettent à la classe politique d’exister afin de protéger leurs étroits  intérêts personnels….Elles détiennent des titres diplomatiques honoraires de leurs pays d’origine. Cela veut dire qu’elles ne payent pas d’impôts parce que, après tout, ce sont des diplomates…Elles possèdent des ports privés sur lesquels le gouvernement n’a aucun droit de regard. Ces gens ont leurs genoux sur le cou des masses haïtiennes depuis plus d’un siècle…). [ma traduction].

Finalement, toujours selon l’analyse du Dr. Jean Fils-Aimé (JFA), le président Jovenel Moïse aurait été victime des luttes internes au sein du parti PHTK. Il n’est un secret pour personne que Michel Martelly envisage de se présenter à la prochaine élection présidentielle en septembre prochain, tout comme Laurent Lamothe, son ancien premier ministre, devenu entretemps son mortel ennemi. Apparemment, Jovenel Moïse semblerait favoriser Lamothe et Martelly ne lui aurait pas pardonné un tel revirement dans la mesure où ce serait Martelly qui aurait été l’artisan de la victoire de Moïse à l’élection présidentielle de 2016.

Ce serait donc la combinaison de ces trois forces qui seraient responsables de l’assassinat du président Moïse. Elles sont extrêmement puissantes et disposent de moyens d’actions contre lesquels le président Moïse serait tout à fait impuissant. La partie était donc inégale. Plus que jamais, les Américains restent les maitres du jeu et possèdent toutes les cartes en main.
Cependant, je me permets d’attirer l’attention sur un autre article, celui d’Erno Renoncourt, paru sur Mediapart, en date du 17 juillet 2021. La démarche est différente de celle de JFA car elle vise d’autres pistes. Voici ce que M. Renoncourt écrit:
«Comme disait Confucius, ce ne sont pas les réponses qui importent, mais la pertinence des questions. Car c’est à travers elles que l’on peut voir ce que personne n’ose voir. Surtout, celles que l’on refuse de se poser par paresse mentale, par corruption, par lâcheté et par soumission. D’où ma question finale: pensez-vous que la France, les USA, le Canada, l’ONU et l’UE ont intérêt à élucider un meurtre qui permettrait de remonter aux connexions mafieuses entre gangs locaux, mercenaires internationaux, capitaux étrangers, banques locales et trafic de toutes sortes?»   

* * *

Le rideau est tombé sur le festival de Cannes 2021. Nous connaissons maintenant les résultats tant attendus. C’est la réalisatrice française Julia Ducournau qui a reçu la récompense suprême, la Palme d’or pour son film «Titane». C’est la première fois qu’une réalisatrice a été sacrée seule pour un film, puisque Jane Campion avait reçu le même prix ex-aequo en 1993 pour «La leçon de piano». Le deuxième prix le plus prestigieux à Cannes, le Grand Prix, a été décerné à égalité au réalisateur iranien Asghar Farhadi pour «Un héros» et au réalisateur finlandais Juho Kuosmanen pour son film «Hytti ndo 6 (Compartiment # 6).

Le Prix de la mise en scène a été attribué à Leos Carax pour sa comédie musicale «Annette». Le Prix du jury ex-aequo pour «Le Genou d’Ahed» de Nadav Lapid et «Memoria» d’Apichatpong Weerasethakul.

Le Prix d’interprétation masculine a été décerné à Caleb Landry Jones dans «Nitram».

Le Prix d’interprétation féminine est allé à Renate Reinsve dans «Julie» (en 12 chapitres).

Le Prix du scénario a été attribué à Ryusuke Hamaguchi pour «Drive my car».

La Caméra d’or pour «Murina» d’Antoneta Alamat Kusijanovic.

Freda, le premier long métrage de la jeune réalisatrice haïtienne, Gessica Généus, a tout de même fait bonne figure puisqu’il a obtenu la mention spéciale Découverte du prix François Chalais. «Ce prix décerné par France 24 et supporté par TV5 Monde récompense depuis 25 ans un film qui, selon la présidente du jury Brigitte Fosey, traduit au mieux la réalité de notre pays en restant fidèle à la pensée de François Chalais.» «Freda» a été longuement ovationné lors de sa grande première à la salle Debussy du palais des Festivals.

En remettant la distinction à Gessica Généus, Brigitte Fosey a déclaré: «C’est un très bon film qui nous plonge au cœur de la violence de la vie en Haïti.»

Dans sa réponse, Gessica Généus a déclaré: «Déjà que c’est très difficile de se voir à Cannes, mais de se voir en plus remettre une distinction, c’est extraordinaire. On est tellement fière d’être là ce soir avec la belle famille Freda. J’adore le nom du prix: Découverte. Parce qu’on est effectivement là pour ça. Pour faire découvrir ce pays à travers notre regard et faire en sorte que Haïti existe selon ce que nous, nous croyons que ce pays est. Une ile magnifique. Très complexe, très difficile où l’art jaillit. C’est très émouvant. Merci d’avoir pensé à nous. Merci de nous donner cette place. Parce qu’on en a besoin. Tranquillement on va créer ce petit espace où on pourra exprimer nos idées et faire savoir qui on est»…  

* * *

En abordant l’Euro 2021, l’Angleterre avait mis toutes les chances de son côté: elle allait jouer six des sept matches éventuels dans son stade de Wembley et s’était offert une moyenne de cinq jours de repos par match. C’est que la sélection nationale n’avait pas remporté de trophée international depuis 1966, lors de la finale de la Coupe du Monde jouée à Wembley justement. Son entrée dans l’Euro fut réconfortante et la sélection semblait irrésistible, se permettant même de battre copieusement son ennemi de toujours, l’Allemagne. Puis, ce fut la finale contre l’Italie, une équipe qui venait de traverser un relativement long purgatoire, dans la mesure où elle n’avait pas joué de Coupe du Monde depuis huit années. La finale fut âprement disputée, le match s’acheva sur un score nul, on dut jouer les prolongations mais rien n’y fit. On recourut alors aux tirs au but qui furent ratés par trois joueurs anglais de race noire. Le racisme anglais se manifesta alors dans toute sa laideur.

Les 3 joueurs anglais qui ratèrent les tirs au but, Bukayo Saka, Marcus Rashford and Jadon Sancho furent victimes de multiples abus racistes en ligne, ce qui obligea la Fédération de Football Anglais à faire sortir un communiqué condamnant le langage raciste utilisé contre les trois joueurs. Le Premier Ministre Boris Johnson a dû intervenir et déclara que «ceux qui étaient responsables … devraient avoir honte d’eux-mêmes». Il poursuivit: «L’équipe d’Angleterre mérite d’être accueillie comme des héros. Elle n’aurait pas dû subir toutes ces attaques racistes sur les médias sociaux.»

Quelles seront les conséquences de cet épisode qui peut être particulièrement traumatisant pour des joueurs dont l’un n’a que dix-neuf ans ? Quelque soit la déception éprouvée par les spectateurs, rien ne saurait expliquer le comportement raciste des supporteurs anglais. Mais, il faudrait aussi placer une part du blâme aux autorités anglaises qui ont tout fait pour chauffer à blanc toute une nation bien avant le début de la compétition. Après tout, le football n’est qu’un sport et jouer sur les passions d’une foule ne peut que réveiller les pires instincts.

Pour terminer sur une note plus réjouissante, signalons que le Tour de France a été remporté dimanche par le jeune phénomène slovène  de 22 ans, Tadej Pogacar, concluant ainsi un doublé bien mérité.

Hugues Saint-Fort
Juillet 2021

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 Viré monté