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Le créole, seule langue officielle d’Haiti?
Oui, c’est possible et obligatoire!

Par Pierre-Yves Roy
New York, 9 juin 2018

Dans son article publié dans le National le 7 juin 2018, “Le créole, “seule langue officielle” d’Haiti: mirage ou vaine utopie?”1 en réaction à l’annonce dans le Nouvelliste du 31 mai 2018 de la parution du livre de Gérard-Marie Tardieu (GMT), membre de l’Académie du créole haïtien (AKA), titré: “Yon sèl lang ofisyèl”, le linguiste Robert Berrouet-Oriol (RBO) nous a soumis une critique à la revue du livre de GMT que son ami et collègue, Dr Hugues St-Fort, a “recommandé pour la pertinence” de son “analyse sociolinguistique”2.
 
Bien que nous n’ayons pas lu le compte rendu du livre de GMT, nous avons fait confiance au professionnalisme et à l’intégrité intellectuelle de RBO du rapport qu’il nous en a fait. Cependant, si RBO et moi sommes d’accord sur l’effronterie avec laquelle le livre de GMT nous est présenté, nous nous trouvons en désaccord sur sa finalité. En d’autres termes, selon nous, le titre de l’annonce du livre, “Yon sèl lang pou dechouke mantalite nou”, reflèterait une indifférence froide et osée de l’AKA à l’égard des interlocuteurs francophones haitiens; ce que RBO traduit dans son jargon de linguiste comme: “unilatéralisme créophile”, “aveuglement volontaire”, “posture anticonstitutionaliste”.

Cependant, je trouve que la vision de GMT est louable et mérite des réflexions plus élaborées. Et à RBO, je rappelle qu’aujourd’hui, en Haïti, quelques soient nos domaines et nos expertises, nous ne pouvons traiter respectueusement un sujet national sans une mise en cause des facteurs sociopolitique et économique qui le déterminent.

Donc, à la question de RBO, “Le créole, seule langue officielle d’Haiti: mirage ou vaine utopie?” nous répondons: Ni l’un ni l’autre, mais une vision progressiste.

Et pourquoi pas? Pourquoi Haïti ne serait-elle pas en droit de contempler le créole comme sa “seule langue officielle”? Pourquoi ne serait-elle pas permise de choisir entre le créole et le français quand la politique de l’aménagement des deux langues prônée par Berrouet-Oriol, et autres, nous semble un défi socioculturel et économique de taille? D’ailleurs le créole en Haïti jouit d’énormes avantages sur le français: c’est la langue du peuple, la langue des média, la langue des politiciens, la langue du palais. Donc, il est légitime qu’un haïtien rêve que sa langue maternelle devienne la principale langue de son pays.

Nous devions admettre, par contre, qu’Haiti n’est pas encore prête à satisfaire une telle ambition. Littérairement, le créole haïtien accuse un bas niveau de production et d’appréciation dans le milieu haïtien; ses espaces et objets didactiques sont restreints tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays--ce qui lui fait demeurer une langue virtuellement à l’oral dans son ensemble. Ensuite, le processus et le coût de traduction des documents littéraires, professionnels, académiques et scientifiques restent aléatoires jusqu’aujourd’hui. Enfin, les francophones haïtiens ne sont pas encore prêts à laisser tomber le français, cet élément important de leur culture qu’ils caracterisent comme leur butin de guerre.

De plus, la façon dont le compte rendu nous a fait part de la contemplation de M. Gérard-Marie Tardieu(GMT) a basculé dans le cynisme: c’est une sorte d’inconséquence téméraire. Ce qui résulterait en une thèse pauvrement défendue. Son titre, “Yon sèl lang ofisyèl pou dechouke mantalite nou”, en témoigne. Le vocable: “Lang kolon” “Langue du Blanc” utilisé dans l’article est du vitriol jeté méchamment sur les blessures du passé haitien pour pousser le peuple à haïr le français davantage. Mais, l’on ne voit pas la raison de tant de hargne contre une langue qui a donné à Haïti ses plus belles têtes. Ce n’est donc pas la faute à langue française si des gens comme GMT ont failli l’enseigner à leurs masses. Étant un bilingue, Tardieu devait avoir tenté auparavant d’alphabétiser son peuple avant de déclarer la langue de Voltaire impropre à l’éducation des enfants haïtiens. Contrairement au cliché académique, et d’après nos expériences, il n’est pas totalement vrai que “le meilleur support pour enseigner à un enfant” soit sa langue maternelle--surtout quand les parents sont des illettrés.  Maternelle ou non, une langue n’est pas meilleure qu’une autre pour instruire un enfant.  C’est de l’opportunité et de la qualité de l’enseignement, et de la disposition naturelle de l’adolescent que provient une bonne éducation. Nous avons appris à écrire et à parler le français sans le support oral de nos parents créolophones. Et nous avons réussi.

Non plus, le mot “révolution” reporté dans la présentation du livre de l’académicien haitien pour défendre son point de vue incisif n’a fait pas le poids. Certes, Haïti a besoin d’une révolution culturelle; et le créole s’était lui-même identifié comme un outil clef en main depuis bien avant la réforme Bernard, pour nous permettre d’entamer cette révolution.

Après qu’on a lu le titre de la revue du livre, on s’est demandé de quelle mentalité parlait l’auteur. Et l’on se dit que s’il y avait une mentalité à déchouker, ce serait celle de Tardieu, puisqu’il s’obstine à penser que le créole a besoin d’un avocat.

Or, selon nous, une langue qui occupe tous les espaces d’une société n’aurait cure d’être défendue. L’académie du créole haïtien, AKA, ne devait avoir pour mission unique que l’amélioration du créole: sa pureté, sa structuration, son enrichissement, son unification, sa compétitivité, et sa promotion nationale et internationale, et non la mystification d’autres langues pratiquées dans l’ile.

Dans un pays à grands besoins comme Haïti, on ne favorise pas l’essor d’une langue en fustigeant ceux qui parlent une autre--anglais, espagnol ou français.  Le créole ne trouvera pas sa vraie place dans la société haïtienne tant que les créophiles promoteurs de la trempe de GMT se sont adonné à le forcer dans la gorge de ceux qui n’en veulent pas. Car ce n’est point par l’imposition des lois, les impudences d’une académie, et des titres intimidants pareils à celui de Tardieu qu’on arrivera à placer le créole au cœur de la famille haïtienne. Au contraire, cette agressive stratégie n’attirera que de l’agressivité en retour. Il est plutôt préférable, d’inciter les gens de lettres de cette société à faire un choix consciencieux et volontaire du créole comme leur langue de prédilection par l’engagement actif des académiciens de l’AKA qui deviendraient eux-mêmes des représentants intègres et compétents, des auteurs à succès dans la langue dont ils sont les gardiens.

Le rêve de M. Gérard-Marie Tardieu est réalisable. Le créole, “seule langue officielle” d’Haiti? Absolument! Car, si sans renforts de l’AKA, le créole a pu s’imposer aux élites haïtiennes, combien à plus forte raison, ne pourrait-il pas devenir la seule langue officielle du pays? Il suffisait d’un arrêté présidentiel ou d’un vote du parlement, et ce serait réglé!. Évidemment, le créole, ayant acquis des avantages sociopolitique et culturel colossals dans ce pays, la politique de son aménagement coûterait moins chère à Haïti que celle des “Grands chantiers de l’aménagement des deux langues” préconisée par Robert Berrouet-Oriol. De plus, la promotion du créole comme seule langue officielle pourrait devenir une source de revenue substancielle à l’économie du pays, si les responsables sauraient comment la puiser.

Mais, c’est la façon dont GMT nous a présenté son livre qui dérange. Car ce ne sera pas par des invectives que sa vision deviendra objectif vivant, mais par beaucoup de travail et de diligence des gens de l’AKA et le concours des créolophones haitiens. Il faut donc continuer à se prouver.

Notes

  1. Le créole, «seule langue officielle» d’Haïti: mirage ou vaine utopie?
     
  2. [Grands Debats] Fwd: NOUVEL ARTICLE: «Le créole, «seule langue officielle» d’Haïti: mirage ou vaine utopie?», 7 juin 2018.

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