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Histoire-États-Unis:
Justice et réparation
pour les Afro-descendants
après 250 ans d’esclavage

Alain Saint-Victor
Historien

Recension du livre From here to Equality. Reparations for Black Americans in the Twenty-First Century de William A. Darity jr. et A. Kirsten Mullen, Éditions The University of North Carolina Press, 416 pages, 2020

 

 

 

 

 

From here to Equality. Reparations for Black Americans in the Twenty-First Century

Ce livre tombe à point. Il traite d’un sujet récurrent, mais qui, ces derniers temps, occupe de plus en plus une place importante dans l’esprit de certains analystes et journalistes qui tant bien que mal essaient d’expliquer la situation des communautés noires dans les pays occidentaux. L’ouvrage analyse uniquement le cas des Afro-descendants étatsuniens, cas emblématique s’il en est, pour mettre en évidence l’injustice historique criante dont cette communauté a été l’objet.

L’objectif ici n’est pas uniquement de dénoncer cette injustice, de l’étaler à la conscience nationale, mais d’expliquer les raisons profondes, multiformes, permettant de comprendre la situation actuelle des Afro-descendants étatsuniens : taux élevé d’incarcération, de maladie chronique, de morbidité, de mortalité, de pauvreté, de décrochage scolaire, de chômage, etc. Bref, une situation de crise permanente prenant racine dans un système social qui a littéralement institué le racisme systémique en un véritable culte.

Le livre est divisé en six parties. La première est un aperçu historique du mouvement de réparation qui a suivi l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. Mouvement qui posait le principe de l’intégration citoyenne des nouveaux libres sur des bases concrètes: compensation matérielle après près de 250 ans d’esclavage, droits à la citoyenneté et à la dignité.

Ce projet connu sous le nom de Reconstruction était conçu afin de rendre à plus de quatre millions de femmes et d’hommes, arrachés à la servitude, un tant soit peu de justice. L’échec de la Reconstruction qui n’a duré que quelques années, marque le début de la grande violence, de l’exclusion sociale et de la féroce exploitation qu’ont connues les Afro-descendants dès 1870, soit cinq ans après le fin de la guerre de sécession et l’abolition de l’esclavage.

L’idéologie dominante de l’époque ne pouvait penser et accepter une société où des Noirs et des Blancs coexistaient. Cette idéologie prônait pourtant, dès la fondation de la nation étatsunienne, le mythe de l’égalité et de la liberté, mythe que les auteurs ont pris soin de déconstruire de façon systématique parce qu’il continue de jouer dans l’imaginaire collectif un rôle prépondérant: «plus de 60% de Blancs ne croient pas que la discrimination raciale constitue une barrière» aux réussites sociales des Noirs. Mais cette perception n’est pas l’apanage des Blancs: «38 % de Noirs» le croient également.

L’objectif essentiel du livre est de montrer précisément que les conditions difficiles de vie actuelles de la grande majorité des Afro-descendants étatsuniens sont le résultat d’une injustice historique, qui prit différentes formes : violence et tueries systématiques (plus de 4 000 personnes lynchées entre 1870 et 1960), destruction de biens matériels, mais aussi politiques discriminatoires instituées par le gouvernement fédéral et les différents États, visant à exclure les Noirs des programmes financiers dont bénéficiaient les Blancs, comme ce fut le cas après la Deuxième Guerre mondiale.

Le racisme tel qu’il s’est développé aux États-Unis imprègne donc non seulement toutes les couches sociales, servant de justification à des massacres récurrents, une violence s’exerçant en toute impunité, perpétrée par des organisations terroristes comme le Klu Klux Klan, mais, et les auteurs insistent là-dessus, ce racisme fut également un racisme d’État, c’est-à-dire qu’il a été conçu et mis en œuvre par des programmes politiques et économiques explicites visant à reproduire les inégalités raciales.

Quatre parties de l’ouvrage sont consacrées à l’étude historique de cette oppression raciale systémique. Le terrorisme raciste dont les Noirs étatsuniens sont victimes est institué et même légitimé dès la fin du XIXe siècle. Comme le montrent les auteurs, ce terrorisme ne consiste pas seulement à mettre en place des mécanismes d’exclusion de la communauté afro-étatsunienne, de l’aliéner de tous droits citoyens, mais il s’agit également de l’empêcher d’élaborer elle-même son propre développement économique et social : la destruction d’un quartier entier habité par une classe moyenne noire prospère en 1921 à Tulsa dans l’Oklahoma en est un cas emblématique. Avec la complicité parfois explicite de l’État, la volonté de bloquer tout progrès économique et social au bénéfice de la grande majorité des Noirs a traversé tout le XXe siècle. Les auteurs donnent plusieurs exemples dans le livre. Et si on considère le cas de certains États qui font tout pour mettre en place une politique d’exclusion en ce qui a trait au droit de vote, il est tout à fait légitime de penser que cette volonté continue d’exister encore aujourd’hui.

La question de la réparation, qui constitue la dernière partie de l’ouvrage, se pose donc à la suite d’une analyse rigoureuse de l’injustice historique dont les Noirs sont victimes. Cette question n’est pas simple parce qu’elle soulève un problème complexe, celui de savoir comment rendre justice à des millions de citoyennes et de citoyens étatsuniens dont, pour la plupart, la situation précaire aujourd’hui est le résultat de cette injustice entretenue et reproduite par les institutions du pays, la société civile et l’État fédéral lui-même. La réparation ne peut, par conséquent, se réaliser et réussir qu’avec la participation du gouvernement. C’est là un point essentiel et sur lequel les auteurs insistent beaucoup: la réparation doit être instituée et développée par le gouvernement fédéral. L’ouvrage contient des propositions concrètes sur la façon dont ce programme devrait être mis en place.

Le livre de l’économiste William Darity et de l’écrivaine Kirsten Mullen fait partie de ces nombreux ouvrages qui tentent de déconstruire le discours raciste actuel, en particulier le discours anhistorique, culpabilisant, mettant l’accent sur le mythe selon lequel les Afro-descendants sont responsables de leur situation socio-économique actuelle, que le racisme n’existe plus, que nous vivons dans une société égalitaire, où chacun a les mêmes opportunités, etc. Sans doute, l’originalité de l’ouvrage tient du fait qu’il propose des éléments concrets de solution pour essayer de remédier à cette injustice historique, mais on peut s’interroger sur la viabilité d’un tel projet et même sa faisabilité dans la mesure où l’on assiste à la droitisation continue de la société étatsunienne, la montée de l’extrême droite et la banalisation du racisme.

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 Viré monté