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Quand parlent nos Loas

Jean Erich René

 

 

 

 

 

Scène de Vaudou, Dieudonné Rouanez. Source.

Dieudonné Rouanez

Ordinairement pour entrer en communication à distance avec une personne on compose un numéro de téléphone ou bien on lui envoi un fax, un courriel. Parfois on utilise les ondes hertziennes de la radio ou de la télé.

Les Houngans pour entrer en contact avec les loas font appel au Govi afin de répondre aux questions difficiles que posent les clients. Ne perdez pas votre temps dans le dictionnaire ni dans l’encyclopédie universelle la signification du mot Govi. Même Google généralement ordinairement si bavard  est complètement muet à ce sujet. Les séquences du vaudou échappent à l’écriture. Nos compatriotes utilisent en sourdine cet instrument de communication afin de ne pas essuyer les critiques négatives et hypocrites des censeurs impénitents.

Un Govi est un petit pot en terre  comme une cruche ou un canari en miniature. Il a pour fonction essentielle de recevoir la communication des esprits ou loas comme une antenne parabolique capte les ondes d’une station émettrice. Selon la religion Vaudou, il y a des esprits qui rôdent autour de nous. Sur l’invocation expresse du Houngan, comme intermédiaire, ces loas entrent en conversation avec les humains et répondent à leurs curieuses interrogations. Tout se déroule dans le Humfort, une véritable salle de consultation où affluent des gens de tout acabit pour des raisons multiples.

Des commerçants, des hommes d’Affaires, des Scientistes, des Hommes politiques, des amoureux déçus etc sont les visiteurs souvent en cachette de ce haut lieu mystique.

Une personne tombe subitement malade et doute de l’origine de sa maladie, naturelle ou surnaturelle? Doit-elle se référer à un Disciple d’Esculape ou à un Médecin aux pieds nus. On a perdu une bague, une chaîne ou un autre objet précieux, on aimerait savoir de quoi il en retourne? On désire avoir la main d’un homme ou d’une femme qui n’éprouve pas les sentiments réciproques, autant de motifs qui font appel à l’oracle d’un loa. Il est  bruit que vous êtes cocu(e), vous voulez découvrir la vérité. La malchance vous suit dans toutes vos initiatives, vous voulez chasser le guignon, enlever le djoc ou le maldjoc, chasser le mauvais sort ou la déveine. Autant de requêtes que reçoit le Houngan ou la Mambo dans son Temple. Seuls les oracles des loas peuvent lui permettre de satisfaire aux demandes pressantes de ses clients en faisant le plus souvent appel au Govi.

Comment se déroule cette manifestation mystique? Le client dépose ses deux gourdes et cinquante centimes dans un coui. Le Houngan ou la Mambo généralement assis sur une chaise basse ou une banquette tient dans sa main le Govi qui va capter l’oracle du loa. Il allume une bougie et secoue sa clochette et son façon en récitant une litanie de mots inaudibles aux oreilles du profane. Parfois quelques bribes en créole, en français ou en latin  sont égrenés mais tout le reste est du pur dialecte africain.

Par exemple l’invocation de Damballah se précise par cette incantation:

«Au nom de Damballah, Woedo-Tocan miroise, Dame Salavantior passa wilibo, wilimin Odan aica siucan, Odan owedo gnemin, Odan missou wouedo, Damballah wouedo dienque, Damballah wouedo tingui, nègre arc-en-ciel filé. Après Dieu, après Dieu, après Dieu.»

Pour invoquer le lwa Aïzan Velequete le Houngan déclame cette kyrielle de mots:

«Par pouvoir Mambo Aïzan-Velequete, négresse mannouladée, négresse Dahomen, négresse fredassy Freda, négresse fladovoun Freda, négresse cissafleur Vodoun. Ago, Agocy, Agola.»

Subitement on entend une voix tonitruante qui ne provient de nulle part.

Elle change de direction à chaque instant. Parfois elle résonne dans le Govi. Une forte commotion de la salle, comparable à la réplique d’un tremblement de terre de faible magnitude, annonce l’arrivée de l’Esprit.

Tous les meubles tremblent, les verres et les bouteilles s’entrechoquent. Il s’agit d’un spectacle ahurissant, apeurant capable de porter le sollicitant à renoncer à sa demande et prendre immédiatement la fuite. Automatiquement le Houngan le rassure et lève son bâton pour apaiser l’esprit qui verbalise de la façon suivante:

Bonjour Messieurs et Dames. Qui a besoin de moi ici? Tonnerre! Tonnerre!
Pourquoi on m’a foutre appelé? Je suis Aguirua-Linssou, Aïzan-Velequete, Damballah, Saba, Quequessou, Loco-Atissou etc. selon l’esprit invoqué dont l’arme est dessinnée sur un napperon blanc recouvrant l’autel ou Pe.

Remarquez que le Loa emploie souvent des propos grivois ponctués de foutre et de tonnerre tout au long de sa communication. Il est très nerveux et très violent. Il répond directement ou indirectement par des tours d’esprit aux questions qu’on lui pose. On enregistre des interférences c’est à dire les interventions inopportunes d’autres loas non sollicités qui parasitent la conversation.

Les formules d’invocation des loas peuvent vous paraître ridicules mais la clé du succès ne réside pas dans l’orthographe ni la prononciation des mots.

L’important c’est surtout le ton. Les musulmans ont une façon particulière de dire Allah. Ils récitent leurs prières assis par des inclinations saccadées de leurs bustes vers le sol tout en modulant le timbre de leurs voix. Les non-initiés peuvent réciter ces mots sans obtenir aucun résultat.

La Bible que nous lisons chaque jour comporte des prières à haute portée mystique mais assortie de certaines conditions qui ne reviennent pas à l’entendement des profanes. Dans le cadre des tours mystiques du vaudou, les chansons fredonnées, le son du tambour selon le rite yanvalou, nago, rada etc. le parfum diffusé dans la salle, la nature de l’huile qui brûle et le nombre de mèches sont d’une importance capitale pour l’invocation.

Grâce au Govi, le loa parle à l’assistance comme au microphone. Les renseignements fournis sont parfois d’une extrême précision. Tout un luxe de détails est donné sur la description de l’objet perdu, sa forme, sa couleur, son emplacement. L’identité du voleur, du fautif ou du criminel peut être révélée suivant une description approximative sujette parfois à une certaine confusion mais en recollant les morceaux on peut reconstruire le puzzle. Le loa peut aussi vous annoncer votre erreure  en précisant que l’objet a été tout simplement égaré et indiqué l’endroit où il se trouve. Dans le rituel catholique St Antoine est reconnu comme le Patron des objets perdus. On peut aussi solliciter son concours.

Les symptômes identifiés par les esprits dans certains cas de maladie souvent concordent avec les diagnostics de la médecine orthodoxe. Les remèdes à base de feuilles proposés souvent dépassent en efficacité les recettes pharmaceutiques. Quant au coût, n’en parlons pas! La rapidité des guérisons étonne la plupart des scientistes. Aussi les révélations des loas par le truchement du Govi sont suivis scrupuleusement par les Houngans qui ne sont que de simples intermédiaires ou auxiliaires. Scientifiquement d’où vient cette résonnance qui échappe à l’entendement des Cartésiens? Est-ce qu’il y a des Haut-parleurs cachés et reliés à un individu quelque part pour simuler des réponses d’un quelconque esprit ou loa? Est-ce un répondeur automatique ou un téléphone cellulaire qui nous sert cette potion magique?

Dans ce cas, le vaudou aurait inventé la communication à distance, avant la lettre, puisque son usage précède longtemps cette percée récente de la télécommunication.

Il n’y a pas d’électricité dans nos Sections Communales, les Houngans ne sont pas initiés aux techniques de la cybernétique et ignorent complètement les secrets de l’acoustique. Quelle est donc cette voix inconnue qui expose les moindres détails de la vie privée du sollicitant et prononce des diagnostics aussi précis qu’étonnants. Le Houngan serait-il ventriloque?

Cette hypothèse est à exclure puisque les voix sont diffuses et pluridirectionnelles. L’intonation change à chaque instant. La ventriloquie, ordinairement monocorde, ne saurait produire une gamme de voix aussi variée ni changer de décibel au fil du déroulement de la communication. Ces récits peu ordinaires suscitent souvent le doute chez certains incrédules à cause des soi-disant houngans, sans scrupule, pratiquant un vaudou commercial, font fonctionner la machine à sou. Ils psalmodient de fausses incantations et miment des appels au Govi, pour extorquer de l’argent aux esprits naïfs.

Nous n’excluons pas les cas fréquents de ces arnaqueurs qui, guidés par un esprit de lucre, font du vaudou leur gagne-pain Une personne se cache dans une grotte ou un trou obscur, sous une table ou dans la chambre d’à côté pour simuler les oracles du loa. À ce compte nous pouvons vous confesser la déception d’un ami qui a consulté une Mambo réputée à Gatineau, Haute Guinaudée 3 e Section Rurale de Jérémie. Intrigué et profondément attristé par la mort subite et suspecte de son Père, Chef de Section, J.S.C. a fait appel aux offices de Attila. Au cours de l’appel au Govi une voix retentit dans un trou. Méfiant, le brave client, muni de son revolver, descend  dans le trou pour y découvrir un homme qui simulait l’oracle du loa. Il a bousillé avec colère la Mambo et son complice. Ce cas a été entendu au Parquet du Tribunal de Jérémie en 1986. J.S.C n’a pas été condamné pour ce double meurtre. Au contraire il fut libéré pour sa bravoure sous les applaudissements de l’assistance.

Ces incidents malheureux  sont plutôt de nature à semer le doute sur l’existence des phénomènes paranormaux et les manifestations tangibles des esprits ou loas qui nous entourent. Nous sommes habitués à la logique positiviste, c’est pourquoi souvent nous rejetons, sans aucune mastication, ces faits que nous rangeons  dans les archives de notre folklore. À dire vrai en Haïti les croyances populaires  sont exacerbées. Les faits sociaux les plus banals et surtout la mort n’arrivent pas naturellement. On se réfère à la sorcellerie pour expliquer  la présence d’un papillon qui pénètre  le soir dans la maison. Cet occultisme outrancier qui imprègne la carte mentale de la majorité nationale est souvent interprété comme le signe évident de l’analphabétisme et l’une des causes de notre sous-développement.

Ce carcan qui discrimine le vaudouisant, porte souvent  les initiés des couches sociales haïtiennes les plus élevées à pratiquer le marronnage. On peut changer de pays, de fortune mais jamais de culture. Le vaudou nous a été légué par nos ancêtres. Quand parlent nos Loas au cours de notre sommeil, certains serviteurs sont obligés de retourner en Haïti ou dans le démembré pour se ressourcer afin de rendre les offrandes qui leur sont dues, comme au jour de l‘Epiphanie, à l’instar des Rois de la Magie Gaspard, Melchior et Balthazar.

Jean Erich René
Mai 2010

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