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«De la poésie avant toute chose» (Verlaine)

Hugues Saint-Fort

Ceux qui pensent que la poésie n’a plus sa place dans nos sociétés surdimensionnées, hautement dominées par les technologies les plus pointues  ont dû peut-être se mordre les doigts samedi dernier 25 août à l’occasion de la manifestation culturelle mise sur pied par Régine Roumain et l’association «Haïti Cultural Exchange» qu’elle dirige à New York depuis trois ans environ. Régine – et je voudrais ici la remercier du fond du cœur pour cette soirée si captivante, si élégante – avait dénommé la manifestation «Pwezi ak Mizik anba Tonèl», titre hautement symbolique  pour  signifier  la résilience  de la musique et de la poésie capable de se nicher dans les endroits les plus inattendus même dans une société aussi technologiquement orientée que New York. Les dizaines de participants qui ont répondu à son appel ont prouvé que le monde de la poésie possède encore de longs et beaux jours devant lui, quoiqu’on en dise.

En effet, tout ce que New York compte – toutes générations confondues – de fervents de  poésie, de musique moderne, de culture haïtienne revitalisée en diaspora, s’était donné rendez-vous à 558 St. Johns Place, au cœur de Brooklyn, NY pour clôturer cet été 2012 qui a été si chaud. Ils n’ont pas été déçus. Il y avait de la musique, de la poésie, et surtout ce côté détendu, sympa, pas guindé pour un sou.

Après l’introduction  par  Dr. Millery Polyne, historien et professeur à NYU, la soirée commença en musique. Elle était assurée par «Vo-Duo», composé du guitariste et chanteur Monvelyno Alexis et du percussionniste Markus Schwartz qui ont réussi un savant mélange de «Mizik Rasin», jazz et rock dans la bonne tradition de la musique sacrée du vodou haïtien. Puis vint le moment de la poésie. Tour à tour, Jeffrey Dessources, Jean-Dany Joachim, Ibi Zoboi, Jany Tomba, Syto Cavé, Josaphat-Robert Large nous ont fait vibrer en lisant des extraits de leurs œuvres poétiques, riches, fortes, excitantes. Jeffrey Dessources a intégré certaines bonnes vieilles traditions culturelles haïtiennes dans sa poésie moderne, vigoureuse et décapante; Jean-Dany Joachim a voulu flirter avec un lyrisme tout en retrait ; Ibi Zoboi que je connaissais davantage comme auteure de récit depuis son texte inoubliable dans «Haiti Noir» d’Edwidge Danticat (2011) a révélé un autre aspect de son talent littéraire tout en finesse et en délicatesse ; Jany Tomba a été  superbe et toute auréolée de  sensibilité et de conscience poétique; Syto Cavé, à la poésie racée et d’une sensibilité rare, poignante, touchante, nous a émus par sa capacité à nous rappeler  notre destin éphémère;  Josaphat-Robert Large, dont la présence  sur  scène n’a d’égale que sa poésie somptueuse, aux accents passionnés, nous  a rappelé que le grand art repose aussi sur un travail constant, quotidien sans lequel le talent risque de s’effilocher sans qu’on s’en rende compte.

Le grand moment de la soirée a été l’arrivée du poète national Anthony Phelps, introduit par son grand ami Josaphat-Robert Large. Dans son introduction, le poète et romancier Large a proposé de consacrer cette année de grâce 2012 au fameux auteur du recueil de poésie «Mon pays que voici» (1968) en la dénommant «l’année Phelps». Je souscris avec enthousiasme à cette proposition puisque l’écrivain Phelps a marqué l’année 2012 de deux coups d’éclat, de deux «gestes», pour répéter le mot célèbre de mon ami le poète et collègue linguiste Robert Berrouet-Oriol. Le premier coup d’éclat a été le refus spectaculaire d’accepter une décoration présidentielle  afin de protester contre l’impunité  dont continue  à  jouir le dictateur Jean-Claude Duvalier, narguant sans remords au pays même tout un peuple que lui et son père ont tant fait souffrir pendant presque trente années,  le second coup d’éclat est le prix de poésie du 14ème Salon international du Livre insulaire de Ouessant, dans le Finistère, en France, qui lui a été attribué pour son livre «Nomade je fus de très vieille mémoire» (Editions Bruno Doucey, 2012), exactement une semaine avant son anniversaire.

Phelps, après avoir distillé un avant-goût de sa poésie à une audience déjà captivée, a procédé à la vente-signature du livre pour lequel le jury de Ouessant lui a décerné le prix de poésie, c’est-à-dire «Nomade je fus de très vieille mémoire», une anthologie personnelle de son immense œuvre poétique. Il va sans dire que l’assistance s’est ruée pour acheter et se faire signer un exemplaire de ce texte littéraire. Nous ne manquerons pas quand nous en aurons terminé la lecture d’en rédiger une recension. Qu’on me permette de souligner le tact et le réalisme de Régine qui a pris le soin de mettre sur pied une manifestation trilingue anglais-français-créole, donnant ainsi aux trois langues comprises d’une manière générale par la communauté linguistique haïtienne d’être représentées au cours de cette soirée.

La soirée s’est terminée avec un gentil hommage rendu à Phelps par Régine et Haiti Cultural Exchange à l’occasion de son anniversaire de naissance. Je me joins à Régine et à son sympathique groupe pour souhaiter Joyeux anniversaire à notre poète national.

Hugues Saint-Fort

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