Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

L’Université d’État d’Haïti et sa quête de modernisation

Fritz Deshommes

L’Université d’État d’Haïti et sa quête de modernisation

L’Université d’État d’Haïti et sa quête de modernisation, Fritz Deshommes • Éd. de l'Université d'État d'Haïti • 2020 ISBN 978-99970-78-10-0

 

Introduction

L’Université d’État d’Haïti et sa quête de modernisation

Lorsque le 17 mai 2016, les élections pour le renouvellement du Conseil exécutif ont pu finalement se tenir, l’UEH vivait la crise la plus profonde de son histoire contemporaine. Comme à chaque période électorale, fusaient de toutes parts les revendications les plus diverses, les unes parfaitement légitimes, les autres prétextes à toutes sortes de dérives.

Le rectorat était occupé depuis déjà 4 mois par un groupe d’étudiants et d’autres personnes qui, en plus de bloquer le fonctionnement du point le plus névralgique de l’institution, se livraient à des actes de vandalisme, de destruction et de profanation, sous prétexte de revendications académiques et d’exigences de réformes. Des membres du personnel administratif réunis au sein d’un syndicat, le Syndicat du personnel administratif (SPA), revendiquaient de meilleures conditions de vie et de travail. Des professeurs, en plus de grogne salariale et de revendications académiques, estimaient que seuls des détenteurs de doctorat (qu’ils sont pour la plupart) doivent diriger l’université. Dans ce vaste mouvement de contestation, on retrouve des dirigeants, des membres du Conseil de l’Université, des doyens et bien entendu des candidats à différents postes au Conseil exécutif.

Tous ces groupes ne dédaignaient pas la violence comme arme de combat, assortie parfois de calomnies, de contre-vérités, d’arguments attentatoires au prestige même de l’institution. Le mouvement bénéficie de l’appui de plusieurs groupes politiques, de personnages hauts en couleurs. Bref, l’UEH était dans la rue, profondément fracturée, avec des protagonistes se prévalant de méthodes qui n’ont rien à voir avec les principes et fondements universitaires et ouvrant le flanc à tous les contempteurs de l’Université en général, de l’Université d’État en particulier. Le mal-être avait atteint son paroxysme.

Il fallait donc que l’institution se reprenne en charge, retrouve son essence, se recentre sur les vrais défis, les vrais enjeux, les vrais problèmes qui la concernent. Il fallait recoller les morceaux, faire le tri entre les légitimes revendications de réforme, d’excellence, de conditions de vie, de travail et d’apprentissage, d’une part et les prétextes aux dérives et à la violence. Il fallait ramener la sérénité, ouvrir largement les voies du dialogue, permettre à toutes les voix de s’exprimer, à toutes les fleurs de s’épanouir et accueillir toutes les bonnes volontés qui se manifestent, d’où qu’elles viennent, en termes d’appartenance disciplinaire, idéologique ou académique.

Le nouveau Conseil exécutif devait donc être celui de la Réforme. Il n’avait pas le choix, compte tenu du contexte, des attentes, des humeurs. De cette réforme réclamée depuis des décennies et qui n’a pas pu être mise en branle en dépit de multiples efforts consentis et de moult tentatives. Le renforcement institutionnel, le rapprochement avec l’État et la société, le remembrement de ses composantes, le ciblage d’objectifs précis, la remise en selle du Plan stratégique de l’Institution, la capitalisation sur les acquis, la valorisation de multiples ressources, la culture de résultats devaient faire partie de ses priorités.

Comment y arriver dans ce contexte où tout semblait aller à la dérive au niveau interne tandis que l’environnement externe n’était pas en meilleure posture tant il est vrai que le malaise national s’approfondissait aux niveaux politique, économique et social?

C’est pourtant à la suite de cette conjoncture de crise généralisée – suite à la désoccupation des locaux du rectorat - que l’institution a pu réaliser d’importantes avancées dans le sens de sa réforme et de sa modernisation. Comme s’il fallait que les dangers se fassent imminents pour qu’une bonne partie de ses ressources les plus saines et sa majorité silencieuse se réveillent afin d’assurer sa défense et sa promotion. Déjà, au plus fort de la crise, une pétition émanant d’un groupe de 200 professeurs de toutes les disciplines appelait à la raison et rappelait la nature et l’importance de l’Uni­versité d’État pour le pays.

L’institution a pu mobiliser toutes les composantes de toutes ses entités de Port-au-Prince et de province pour réaliser ses États généraux, jeter un regard sans complaisance sur son fonctionne­ment, analyser objectivement ses points forts et ses points faibles et surtout réaliser un large consensus autour d’un ambitieux agenda de réformes et de modernisation. Ce n’est qu’un exemple des multiples «Grandes premières» et «Tournants majeurs» qui font l’objet de cet ouvrage. L’institution a pu renforcer sa gouvernance, conduire à bon port des initiatives déjà en cours, mettre sur pied de nouveaux programmes de formation, renforcer son appui à la supervision académique à Port-au-Prince et en province, finaliser la création du Fonds d’appui à la recherche, se doter d’un Conseil scientifique, dynamiser le Comité d’éthique de la recherche, initier de nouvelles relations avec l’État, élargir ses partenariats, retrouver son prestige national et international, tout en se relevant de ses blessures, et en demeurant la meilleure référence universitaire du pays.

L’ouvrage se compose de huit chapitres. Il s’ouvre sur les «Conditions de départ et les chantiers ouverts» (Chapitre I) avant de rendre compte des «Grandes premières» (Chapitre II) et des «Tournants majeurs» (Chapitre III). Le Chapitre IV dévoile les finalités essentielles des actions entreprises en mettant le «Développement durable au coeur» des préoccupations. Dans ce même élan, il a fallu «Promouvoir l’entrepreneuriat universitaire et les énergies renouvelables» (chapitre V). Des cérémonies de graduation, d’installation de décanats fraichement élus, de lancement de travaux de reconstruction ou de réhabilitation de Facultés, d’ouverture de colloques et manifestations académiques nous offrent l’occasion d’aborder «La vie de nos entités» (Chapitre VI). Une pause est observée au chapitre VII, pause de respect et de méditation, nécessaire «Pour saluer le départ d’illustres disparus», des compatriotes et collègues qui nous ont nourris de leur savoir, de leur enseignement, de leur pensée, de leur amour de notre université, de leurs étudiants et de leur pays, notre pays. L’ouvrage se referme sur une interrogation fondamentale «Quelle université pour quel pays?» (Chapitre VIII) à laquelle il propose des éléments de réponse.

Ce livre comprend un ensemble d’interventions publiques organisées sous des thématiques qui permettent d’en dégager l’unité de pensée. On y retrouve des présentations académiques, des entrevues à la presse, des allocutions, des discours, etc.

À ce stade, on pourrait se demander: est-ce le meilleur moyen d’en rendre compte? Le titre répond-il vraiment au contenu?

C’est vrai que les discours, les allocutions de circonstance peuvent être ennuyeux, monotones, rébarbatifs. Ce mode d’expression présente ses propres limites. Le plus évident en est qu’il ne permet pas d’être exhaustif. Les sujets abordés sont conditionnés à la disponibilité d’interventions ou de discours écrits. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle plusieurs innovations ou «Grandes premières» importantes n’y sont pas traitées, comme le lancement du Conseil scientifique, la création du Fonds d’appui à la recherche, les nouvelles initiatives du Comité d’éthique de la recherche. Ou, dans le domaine de la vie de nos entités, ne sont pas mentionnées les installations des décanats de la Faculté d’Agronomie et de Médecine vétérinaire (FAMV), de la Faculté d’Odontologie (FO), de l’École normale supérieure (ENS), de l’Institut national d’administration, de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI), le lancement des travaux de réhabilitation de la Faculté des Sciences humaines (FASCH), de la première édition du Colloque international sur le patrimoine de l’Artibonite, etc. Ou encore, en ce qui a trait à la règlementation, l’adoption de la Charte des droits et des devoirs des professeurs à temps plein, la publication du Code de conduite des étudiants, la dotation d’un statut au Campus Henry Christophe de Limonade, etc.

Ce mode d’expression ne permet pas non plus d’identifier les opportunités perdues, les occasions manquées, les tentatives mal­heureuses, les échecs,...

Il importe de souligner à l’encre forte que les résultats obtenus durant la période considérée n’auraient pas été possibles sans la participation visible et invisible, mais active et consciente, de la majorité des membres de la communauté, chacun à son niveau, en fonction de ses responsabilités statutaires, peut être même au delà pour certains. Il est difficile de citer dans les détails tous ceux qui y ont contribué. Retenons notamment:

  1. Le Conseil exécutif et chacun de ses membres en particulier. Savez vous par exemple que c’est pour la première fois depuis les Dispositions transitoires que cette instance fondamentale a pu fonctionner dans l’harmonie et la convergence (même si les débuts étaient plutôt difficiles?
     
  2. Le Conseil de l’Université qui a pu pour la première fois se doter de Règlements intérieurs et dont les séances se sont révélées plus conviviales et plus productives. Il a dû faire montre d’un sens de responsabilité exceptionnel dans cette conjoncture particulière. Il a même eu à aider le Conseil exécutif à gérer ses propres crises internes.
     
  3. Les décanats et conseils de direction des différentes entités, les directions de l’office central qui ont su pour la plupart mettre dans la balance tout le poids de leur leadership, de leur lucidité et de leur maturité pour travailler à la construction d’une institution plus stable, plus efficace et plus unie. Leur apport est d’autant plus pertinent que nous vivons un moment où il devient de plus en plus difficile et de plus en plus ingrat d’assumer des postes de direction, surtout dans notre université.
     
  4. Les différentes composantes de notre communauté – professeurs, étudiants, personnel administratif – qui, les uns de manière ouverte et visible, les autres dans leur fonction de majorité silencieuse mais non moins active, ont travaillé dans le sens du bien commun. On peut rappeler à ce sujet diverses pétitions de nombreux professeurs et étudiants appelant à respecter l’intégrité de l’institution, à promouvoir son fonc­tionnement harmonieux et efficace, à respecter sa nature et son statut. Une mention spéciale pour les étudiants de la FASCH qui se sont levés comme un seul homme pour exiger des conditions appropriées pour la reprise de leurs cours.
     
  5. Les membres du Comité de pilotage des États généraux, des différentes commissions créées à l’ occasion de leur préparation, les Commissions thématiques, le Comité de Suivi du Protocole d’accord UEH-État, et de tous ces comités et commissions ad hoc créés ponctuellement pour aider à éclairer ou à résoudre divers aspects du fonctionnement (ou du dysfonctionnement) de notre université.

Que dire alors de ces collègues, simplement amoureux de leur Alma Mater, toujours prêts, toujours disponibles à servir généreusement et passionnément? On les a vus à l’oeuvre notamment dans l’élaboration et la réalisation des États généraux, les démarches et négociations autour du contrat-plan et sur d’autres fronts tout aussi cruciaux pour l’Université. On ne peut que se découvrir devant tant de disponibilité et de générosité. Citons deux échantillons de ces collègues, les professeurs Raymond Noël et Ronald Jean-Jacques qui enrichissent le présent ouvrage de leurs belles préface et postface. Nous les en remercions très spécialement.

Un bouquet spécial de profonde gratitude au docteur Marie Evelyne Moïse. Son apport est capital.

Les interventions retenues ne concernent pas que l’UEH. Plusieurs d’entre elles ont été réalisées dans le cadre de la Conférence des recteurs, présidents et dirigeants d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur (CORPUHA). Sous la houlette du recteur de l’UEH, son président durant la période considérée, la CORPUHA a également connu ses «Grandes premières» et ses «Tournants majeurs». Il est important d’en rendre compte puisque les initiatives s’y rapportant concernent tout le système national d’enseignement supérieur dont l’UEH constitue le plus beau fleuron. À ce sujet il importe de noter que la CORPUHA et l’UEH ont mené un combat commun pour l’amélioration des deux avant-projets de loi relatifs à l’enseignement supérieur et la recherche. Si les deux institutions reconnaissent la nécessité de sortir du vide juridique du secteur, ils pensent que les textes soumis contiennent encore de trop nombreuses lacunes qu’il importe d’éliminer en vue de permettre à l’enseignement supérieur de fonctionner dans des conditions plus propices à son développement harmonieux.

Il faut saluer le travail des pionniers dont son premier président, l’ancien recteur de l’Université d’État d’Haïti Jean-Vernet Henry, qui ont laissé un important héritage sur lequel capitaliser au bénéfice de l’Université haïtienne. Il importe de souligner l’apport remarquable des autres membres du Bureau et du secrétaire exécutif.

L’appui sans faille de l’ancien directeur régional de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), le professeur Alain Grand Bois, doit être souligné à l’encre forte. Il a compris que l’AUF constitue une Association d’universités, avec des droits et des devoirs égaux, que l’Association ne peut pas remplacer ou concurrencer ses membres et que son meilleur succès se mesure à sa capacité à permettre à ses membres, à leurs Associations nationales et au pays dans lequel elle est installée de s’autonomiser et de prendre en main leur destin en matière universitaire. La CORPUHA a pu bénéficier largement de cette vision, laquelle se rapproche plus étroitement des principes fondateurs de l’Agence.

Les interventions réunies ici ont valeur de témoignage des actions entreprises ou contemplées au cours de ces quatre dernières années. Pour les futurs dirigeants, pour les chercheurs et les historiens, elles constituent de précieux matériaux de compréhension et d’appréciation d’un moment de la vie du plus important établisse­ment d’enseignement supérieur de la République.

Mai 2020

*

 Viré monté