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Les mots et la construction de la réalité en Haïti

Obrillant DAMUS

Préface

par Béatrice Pothier, professeur à l’Université catholique de l’Ouest.

La langue est un prisme à travers lequel l’individu est condamné à appréhender le monde qui l’entoure, disait - en substance - Georges Mounin1, reprenant en partie l’hypothèse des linguistes américains Sapir et Whorf. Ce livre montre combien la culture, la civilisation et les croyances sont intriquées dans cette vision du monde, complexifiée encore en Haïti où les civilisations se superposent les unes aux autres.

Les exemples d’appellations diverses des maladies en font des maux différents. Dès lors, leurs remèdes divergeront selon que ces maladies seront considérées d’un point de vue linguistique ou d’un autre. La culture et les croyances s’ajouteront à la vision divergente d’un phénomène, peut-être, semblable. Il existe un évident rapport entre l’idiome employé et la construction d’une (de la?) réalité. A chaque langue correspond une organisation particulière des données de l’expérience: elle est le médiateur entre l’humain et le réel. La langue n’est pas seulement un moyen de communication, elle la permet, c’est évident, mais elle sert également à décrire le monde présent tout en étant également le vecteur de cette vision de générations en générations : elle est l’instrument qui nomme et donc fait exister, mais elle est également le moyen de faire perdurer une certaine appréhension du réel. Nous sommes porteurs et nous léguons, même contre notre gré, une vision du monde uniquement par le fait d’utiliser telle ou telle langue maternelle. Les rôles des «médiateurs» et de leurs remèdes apparaissent, eux aussi contingentés par les termes qui les nomment.

Les anciennes croyances, mêlées à celles des colonisateurs, forment un syncrétisme linguistique où les diverses influences se lisent à livre ouvert. Ces intrications lexicales montrent combien le créole haïtien est une dynamique: il est vivant et se régénère sans cesse en puisant soit dans des langues existantes comme le français et plus récemment l’anglais, soit en inventant, en créant ses propres vocables. Ces derniers viennent, à leur tour, enrichir les lexiques des langues en présence et permettent alors aux locuteurs de ces langues d’élargir leur vision du monde…Les communautés en présence se nourrissent les unes les autres aussi bien dans et par leur langue respective et, par voie de conséquence, dans leurs avancées médicales, technologiques voire spirituelles.

Cet opus nous apprend bien des éléments de culture et de civilisation d’Haïti : il nous persuade surtout que la langue est à la base de toute vie humaine et que les diverses langues du monde, quelles qu’elles soient, constituent des trésors qu’il convient de conserver au maximum.

Note

  1. MOUNIN, Georges, Problèmes théoriques de la traduction, Editions Gallimard, Bibliothèque des idées, Paris, 1963.

 

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