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La propagation soudaine et rapide
du Choléra en Haïti: Qui est responsable?

Paul -André Sanon - Wilfrid Suprena

Novembre 2010

Mi-novembre 2010, plus de 700 morts, dizaines de milliers de cas recensés à travers 8 des dix départements géographiques du pays. On craignait le pire et il est arrivé. La capitale haïtienne de plus de deux millions d'âmes commence à compter ses premiers cas d'infection. Sous les tentes, dans les quartiers populeux, c'est le branle-bas et l'effet insidieux de la peur. Oui, le pays qui dans les récentes années a eu à faire face à tant de calamités politiques et de cataclysmes naturels, est assailli aujourd'hui par le Choléra. Les citoyens haïtiens, toutes classes sociales confondues, sont inquiets, et à bon droit. Ils le savent et nous le savons tous que l'eau que nous buvons et dont nous nous servons pour la lessive et la cuisine dans les agglomérations urbaines et rurales est de très mauvaise qualité; elle n'est pas traitée selon les normes et les standards internationaux. La Camep, seule institution nationale publique responsable du captage et de la distribution du précieux liquide est absolument déficiente et agonisante depuis plus de deux décennies. Les infrastructures et les conditions sanitaires au pays ne peuvent se métamorphoser en un clin d'œil pour répondre à cette mort lente annoncée. Mais où placer le blâme?

Le choléra est endémique au Népal qui a connu une autre explosion l'été dernier. Nombreux sont ceux qui pensent que la base militaire des casques bleus népalais, située à Mirebalais, en amont du fleuve de l'Artibonite, est le point d'origine de l'épidémie. Ce contingent est arrivé en Haïti le 9 Octobre, quelques jours avant l'éclosion haïtienne et quelques semaines après l'éclosion népalaise. La majorité des personnes contaminées vivent le long de la rivière Artibonite. Nous savons tous que le choléra est une maladie d'origine hydrique propagée lorsque l'eau potable est contaminée par des matières fécales humaines. Il apparait souvent dans des zones dépourvues d'eau potable et sans assainissement adéquat où les gens utilisent l'eau de rivière pour boire, laver et cuisiner.

Nombreux sont ceux qui pensent que les eaux usées où des excréments des casques bleus népalais campés à Mirebalais ont contaminé l'eau du fleuve Artibonite qui représente la source principale pour la boisson, la toilette et la lessive pour la grande majorité des riverains. Au nom d'un faux nationalisme, et sous le coup de l'émotion, beaucoup sont ceux qui tirent à boulets rouges sur la MINUSTAH et l'ONU. C'est leur droit.

Cependant, des questions importantes doivent être posées pour éviter toute répétition des confusions exploitées à dessein par les politiciens traditionnels sans vision et sans conviction.

Qui a recommandé aux Népalais de s'installer dans la zone en amont du fleuve Artibonite? Qui renouvelle le mandat de l'ONU chaque année? Qui a supervisé les travaux d'installation du contingent népalais (CASEC/Maire de la zone)? Qui a signé l'accord de siège entre L'ONU et l'État haitien? Quel est son contenu?

La question de l'eau en général est de la responsabilité de l'état. Et qu'a fait le nôtre? Prenons, en exemple, la distance des puits par rapport aux latrines au Cap-Haitien. Certes, leur construction date de l'ère coloniale. Mais quelle décision a été prise par les pouvoirs locaux et centraux pour y rémédier et faire respecter la distance de dix mètres minimum nécessaires pour le forage d'un puits et d'une fosse d'aisance? Jusqu'à nos jours, nos rivières sont des sources d'approvisionnement simultanées en eau potable pour bétail et humains. Des cimetières sont construits à côté des rivières et des maisons sont bâties à la bonne franquette sans souci d'environnement ni des nécessités sanitaires. Qui dissuade les contracteurs et les constructeurs? Quelle est la politique de l'Etat central et des pouvoirs locaux en matière d'assainissement?.

Quid de la Camep? Institution négligeable et moribonde dirigée par des professionnels recrutés dans la majorité des cas en raison de leur affiliation politique et ne disposant pas des moyens de leur compétence ou la compétence de leurs moyens. Avons-nous des systèmes d'évacuation et de traitement des eaux? À côté des discours fumeux et des documents qui pourrissent dans les tiroirs, nous n'avons jamais eu à adopter et à exécuter une politique sanitaire et environnementale crédible et sérieuse. Il est vrai que les Népalais auraient dû utiliser de meilleurs moyens pour disposer leurs excréments. Mais encore une fois, il incombe à nous de renforcer cette position sanitaire car il est bien connu que le choléra est endémique au Népal. L'haïtien et/ou l'État Haitien doit être responsabilisé! Après 206 années d'indépendance, on ne devrait pas utiliser la rivière Artibonite comme source principale d'eau potable sans aucun traitement préalable.

L'eau potable et l'assainissement, deux éléments indispensables à la santé publique n'ont jamais été considérés comme une priorité nationale et occupent très peu de place dans les milliers de projets de société de nos politiciens toujours avides de pouvoir pour l'utiliser à leur profits et au détriment de la population.

Dans de nombreuses villes, des latrines ont été construites sans prendre en considération leur proximité aux puits. Des chambres sont louées à des pauvres citadins sans aucun accès à des toilettes et ils sont contraints de jeter leurs excréments dans les égoûts ou dans des zones ouvertes. On profite souvent de la pluie pour disposer ou évacuer toutes formes de déchets y compris les excréments humains dans les rues de la capitale ou les villes de province. Les zones rurales ne sont pas mieux loties. Les gens défèquent en plein air. Selon Unicef-Haïti, moins de 40 pour cent de nous ont accès a des toilettes et une quantité moindre a accès à l'eau salubre. Ce qui n'a jamais été un problème pour les classes dirigeantes puisqu'elles peuvent sainement boire de l'eau salubre en amont et déverser leurs eaux usées et excréments en aval.. C'est la mentalité haïtienne ! Il semble que nous ne comprenons pas que nous sommes tous connectés. Et que ce que nous déchargeons en aval va revenir!

Nous ne pouvons diaboliser les népalais pour leur négligence tandis que nous n'avons rien fait pour empêcher nos concitoyens de boire les eaux insalubres des rivières. Après deux cent ans d'indépendance, on pourrait mieux faire. Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays n'a pas d'eau de robinet pendant plus de 15 ans. Qui s'en occupe? Il est vrai qu'il y a beaucoup de compagnies qui vendent de l'eau distillée, mais qui les teste, veille à leur qualité et pourquoi les résultats des tests ne sont pas rendus publics? Nous sommes tout simplement chanceux d'avoir survécu aussi longtemps sans une épidémie majeure comme la typhoïde et l'hépatite? Pendant des années au Cap Haitien, deuxième ville du pays, les vidangeurs communément appelés "Bayakou" transportaient sur leurs "brouettes" pendant la nuit, au vu et au su des autorités responsables, leurs récipients remplis de déchets humains pour les décharger à la mer sur le boulevard. Pis! Ces mêmes brouettes étaient utilisées en cours de journée pour transporter le pain et la viande au marché Cluny par les mêmes portefaix. Les linges se lavent entre nous, disent nos faux nationalistes. Sus à l'ennemi fictif!

Nous ne cherchons pas à jouer le rôle d'avocat du diable, mais il n'y a jamais eu de campagnes nationales visant à résoudre la problématique de l'eau salubre et l'assainissement. Tant que nous ne construisons pas un système d'assainissement qui puisse traiter les riches et les pauvres, les paysans et les citadins de façon presque égale, nous sommes et nous serons tous à la merci de toutes les maladies. Et si nous devons rester fidèles et sincères à nous-mêmes, pourquoi les argentins, les brésiliens, les camerounais, les népalais et autres composantes des forces d'occupation de la MINUSTAH devraient-ils nous traiter mieux que nous nous traitons nous-mêmes?

Nous pouvons être certains qu'ils auraient géré leur système d'épuration différemment dans un pays qui respecte le bien-être de tous ses citoyens. À Rome, ils feraient comme les Romains - En Haïti, il est triste de dire qu'ils ont tout simplement fait comme les Haïtiens. Nous devons nous regarder au lieu d'utiliser des boucs émissaires.

Le monde devient un petit village. Nous devons admettre que l'absence d'infrastructures a facilité et l'éclosion et la propagation du choléra. Concentrer toutes nos énergies sur l'origine nationale de la maladie est un prétexte. Que le premier transporteur soit de New-York, Pétion ville, Paris, Raboteau, Népal, ou Dondon n'aurait pas changé grand-chose si seulement 20% de la population a accès à l'eau potable et 10% à des latrines. Une fois de plus, cette épidémie de choléra réaffirme le vieil adage indien que nous sommes tous interconnectés dans le cycle de vie. L'eau est la vie, mais l'eau insalubre entraine la maladie et la mort.

En résumé,l'eau potable ne devrait pas être un luxe, et les gens qui vivent à la base de la rivière Artibonite ne devraient pas l'utiliser comme leur source principale pour la boisson, la toilette et la lessive sans traitement. L'eau salubre devrait être notre priorité et avoir une toilette dans chaque maison en milieu rural ou urbain devrait être une démarche naturelle et une procédure normale dans un pays jeune de deux cents ans, né sur une base révolutionnaire authentique et créatrice. Comme peuple, au lieu de blâmer l'autre, céder à la paranoïa et trouver un ou des boucs émissaires partout et en tout, nous devons apprendre à nous responsabiliser. Nous ne pouvons pas continuer à creuser notre tombe chaque jour et parallèlement rendre respopnsable la mauvaise foi du "Blanc".

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