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L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions

Asselin Charles

Source:
Le français à l’université
- bulletin des départements de français dans le monde

Les Haïtiens ont dû attendre près de deux siècles après l’indépendance de leur pays, soit jusqu’en 1987, pour que le créole, langue unificatrice de tous les Haïtiens, soit constitutionnellement reconnu comme langue officielle, au même titre que le français. La seule officialisation du créole n’aura cependant pas mis fin à la marginalisation des unilingues créolophones, représentant 80 % de la population, qui n’ont toujours pas un plein accès aux services de l’État ni à un système efficace d’éducation. Au nombre des raisons sociohistoriques qui expliquent cet état de choses, il faut surtout retenir l’absence d’efforts réels de la part de l’État pour satisfaire les droits linguistiques de la majorité. D’où la nécessité urgente de concevoir et d’appliquer une politique d’aménagement linguistique en vue de gérer la coexistence du français et du créole dans l’espace haïtien.

Telles sont les préoccupations de cet ouvrage collectif, dirigé par Robert Berrouët-Oriol. Ce livre réunit les contributions de quatre linguistes. Il se propose d’explorer le contexte historique, social et politique de la coexistence du créole et du français en Haïti, de faire le tour des diverses tentatives lancées en vue de les aménager et d’offrir, sur des bases pragmatiques plutôt qu’idéologiques, des pistes valables pour un tel aménagement. Comme préalable à cette entreprise, les auteurs considèrent qu’il convient de mettre fin à des débats chimériques comme ceux auxquels on s’attarde sur la définition du créole, sur ses différentes appellations, le créole ou l’haïtien, ou encore sur la diglossie. D’autres notions, plus pertinentes, selon eux, notamment celles de droit à la langue comme droit humain universel, de convergence linguistique dans une franco-créolophonie haïtienne et d’aménagement linguistique dans un cadre légal, pourraient mieux aider à trouver des solutions aux problèmes des langues en Haïti.

Nous trouvons ces positions dans le chapitre intitulé «Propositions pour l’élaboration de la première loi sur l’aménagement linguistique en Haïti». Ce texte s’accompagne de sa traduction en langue créole sous la plume du linguiste Hugues Saint-Fort. Les titres des diverses propositions de cette loi indiquent clairement ses objectifs : obtenir l’égalité de statut entre le créole et le français, appliquer les droits linguistiques reconnus à tous les Haïtiens, fixer les obligations de l’État en matière d’aménagement et de didactique des deux langues haïtiennes, réglementer l’exercice de la politique linguistique. Le livre de Berrouët-Oriol effectue ainsi le passage de la théorie à la pratique en posant les bases concrètes d’une législation qui assurera la jouissance de la pleine citoyenneté à tous les Haïtiens.

Certains aspects de la problématique des langues ont cependant été oubliés. Les auteurs ne tiennent pas suffisamment compte du contexte géopolitique et géoculturel que constitue le voisinage des pays anglophones et hispanophones de la Caraïbe. On ignore également d’autres forces qui interviennent depuis quelque temps dans le paysage linguistique haïtien et qui devraient amener à dépasser la simple opposition binaire du créole et du français. Le paradigme du bilinguisme français-créole pourrait bien être insuffisant au regard des facteurs liés à la mondialisation et à la migration. Les Haïtiens ont émigré un peu partout dans le monde, en particulier aux États-Unis. L’usage d’autres langues a favorisé l’émergence d’autres types de bilinguisme, notamment celui de l’anglais et du créole.

Il ne suffit plus alors d’opposer le créole au français. Le seul fait qui demeure immuable, c’est que le créole, langue maternelle et nationale, est incontournable et que c’est avec lui que devront composer toutes les autres langues.

L’aménagement linguistique en Haïti est un livre qui arrive à point nommé. Au lendemain du tremblement de terre de janvier 2010, le pays cherche un nouveau départ dans tous les domaines de la vie nationale. Cet ouvrage est une précieuse contribution à cette entreprise de reconstruction nationale, dans la mesure où il propose une solution pragmatique à la question linguistique en Haïti, qui est au fond une question de citoyenneté.

Référence de l'œuvre:

L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions • Édition du CIDIHCA • Éditions de l’Université d’État d’Haïti • ISBN 978 2 89454-985-8 • Février 2011.

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