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Contes créoles

Mère Poule et Dame Mangouste

Léro Yva
Mère Poule et Dame Mangouste, dans Douchérie, pp. 85-93,
Fort-de-France, Éditions Horizons Caraïbes, 1958, 99 p.

Ce jour-là, Claude et Douchérie avaient pu entraîner Léa chez Piécoco. C’est avec plaisir qu’elle a constaté les progrès faits par le petit infirme grâce à ses amis.

Après avoir travaillé deux bonnes heures, les enfants souhaitèrent entendre un conte dit par la mère de Piécoco, comme elle seule savait le faire dans la région.

— Nous pourrions peut-être obtenir un conte aujourd’hui? chuchote Douchérie à l’oreille de Claude, maman ne s’inquiètera pas puisque Mlle Léa est avec nous.

La mère de Piécoco a surpris le souhait de Douchérie, elle lui sourit et s’avançant, elle s’assied tout près du groupe que forment Piécoco et ses amis. Elle allait justement allaiter son bébé.

La brave femme est la fille d’un grand conteur. L’art de conter, très prisé dans les mornes en Martinique, attire parfois les soirs de clair de lune, tous les amis du voisinage.

Elle a un peu perdu l’habitude d’amuser les siens et ses bons voisins par ses contes qu’elle dit aussi bien que son vieux père. Comme lui, elle s’anime et fait vivre l’histoire à tout son auditoire.

— Oh! maman, dis leur le conte de Mère Poule et dame Mangouste, qui s’entendaient si bien.

— Les poules craignent toujours les méchantes mangoustes, s’écrie Douchérie.

— Ecoute, tu verras, il y a bien des chats et des chiens qui s’entendent, quoiqu’on en dise.

Tous les yeux brillent, les enfants sont tout oreille.

— Avant de commencer, déclara gravement Mademoiselle Léa, Douchérie et Claude vont nous promettre d’être sages et de ne pas réclamer un autre conte car nous partirions trop tard.

— Savez-vous qu’il y a clair de lune mademoiselle Léa? implore Piécoco, vous laisserez maman dire le conte en entier?

— C’est promis, mon cher Piécoco.

Et le sourire aux lèvres, la mère du petit infirme commence, en patois du pays:

«Time-time... Mère Poule et dame Mangouste s’étant voué pour toujours une haine sans bornes, se montraient bec et griffes dans le grand champ de cannes, par les sentiers des mornes.

Tout en grattant la terre pour nourrir ses petits, mère Poule veille sans cesse car elle connaît les ruses de la perfide Mangouste.

— Glou, glou, glou, glou, glou, glou! Savez-vous mes petits que Dame Mangouste prétend descendre de la lignée des tout petits rongeurs ? Mais il faut vous méfier, mes adorables poussins, la Mangouste a les goûts et les ruses du renard. Glou, glou, glou.

— Cui, cui, cui  c’est compris, nous restons sous ton aile, pépiaient les tout petits, cui, cui, cui!

— Et mère Poule, fière de sa progéniture, jette un œil maternel sur la diversité de leur duvet soyeux.

— Vous êtes tous aussi beaux! Quel bonheur d’être la mère de ces six poussins jaunes et de ces quatre noirs.

— Cui, cui, cui! Nous serons plus coquets lorsque notre plumage nous fera appeler papa coq, maman poule, cui, cui, cui et nous ne craindrons plus ce rat jaune de mangouste.

Mère Poule, attirée par une fourmilière, se hasarde tout de même entre deux touffes de cannes. Les petits la suivent, bondissent, manifestent leur joie comme des enfants devant un bon repas.

De ses pattes puissantes, leur mère vient de briser le chef-d’œuvre des fourmis, et ces pauvres victimes s’enfuient de tous cotés dans un grand désarroi. Elles se sentent happées par une armée de becs.

— Frou, frou, frou, frou, frou, frou. Qu’ils sont gentils, fait des cannes voisines dame Mangouste, tapie, cherchant une aventure, une bonne occasion ; un imprudent poussin s’écartant, par exemple.

Mais la mère Poule veille car ce frou frou qu’elle prêtait à la brise légère lui paraît suspect. Rassemblant ses petits elle donne l’alerte. Dame Mangouste fait un bond, va-t-elle laisser passer une chance pareille?

— Cot, cot, cot, cot, cot, cot! s’égosille mère Poule, venez vite mes petits, cot, cot, cot!

Se baissant, ailes ouvertes pour mieux les protéger, elle hérisse ses plumes, puis allongeant son cou, elle présente à l’ennemie son bec menaçant.

— Cot, cot, cot! Que veux-tu carnassier  Tes dents sont trop cruelles, éloigne-toi renard des îles. Avec tes pattes de rat tu voudrais bien passer pour un rongeur des champs. Mais, va! Je te connais par ta cruauté, ta queue qui te trahit; tu as trop du renard, aussi mes rejetons te connaissent pour tel!

— Te voilà en colère pauvre mère Poule, mais compte tes petits et tu me rendras justice; je les trouve si beaux, si gracieux, si vivants que je m’arrête toujours pour mieux les admirer.

— Tu comptes sur le dicton: «la poule n’a pas de mémoire». J’ai peut-être une cervelle de poule mais c’est mon cœur de mère Poule qui souffre à la pensée de ces deux poussins noirs que tu me dérobas.

— Tu confonds mère Poule, nous sommes des milliers de mangoustes dans ce champ; et puis qui sait si tes petits ne se sont pas noyés? A suivre les canetons il y a du danger.

— Va-t-en, je ne suis pas dupe, si ce n’est toi c’est ta sœur. Détale, si tu tiens à tes yeux! car je te les crèverai d’un coup de bec.

Mère Poule de s’élancer, griffes et bec menaçants.

— Frou, frou, frou. Ne te fâche pas, je regagne mon gîte.

Dame Mangouste est prudente et elle tient à ses yeux, elle décampe sans tarder.

Le soleil des Tropiques, embrasant la nature, fait mûrir tous les fruits, renforçant leur arôme; les fleurs aux teintes vives ont un parfum violent.

Dans cette île de rêve dispensée de l’hiver, fruits, fleurs et bêtes n’ont jamais de soucis.

Mère Poule est installée avec sa belle famille à l’ombre d’un abricotier. Tout ce petit monde se remet de l’émotion que leur causa dame Mangouste.

Tout près, les restes d’un banc de pierre abritent un sieur serpent depuis peu.

— Swit, swit, swit, fait le grand reptile dans ses ondulations sur le sol desséché. Quel soleil! Je ferais bien un somme, lové sur la terrasse.

Il avance lentement, la tête soulevée, examinant les lieux.

— Swit, swit, swit! Qu’ils sont gras ces poussins, j’en mangerais deux ou trois avant de faire la sieste.

Mère Poule qui guettait fait un bond.

— Cot, cot, cot! Venez vite mes petits! Pourvu que dame Mangouste traîne encore par ici.

— N’aie pas peur, Mère Poule; je suis-là, sauve-toi, je me charge de te débarrasser de ce sinistre sire.

Et mère Poule à l’abri dans la case de paille du cultivateur, assiste de loin à ce fameux combat.

Dame Mangouste du regard paralyse l’ennemi, qui de son côté calcule son élan pour ne pas la manquer. Mais elle sait trop ruser, n’a-t-elle pas obtenu le titre de championne dans les plus durs combats contre le grand serpent? Très sûre d’elle, Dame Mangouste se bat, il faut sauver l’honneur, et, de plus, elle a sur la conscience ces deux poussins noirs que Mère Poule pleure encore. Qui sait si toutes deux ne pourraient s’entendre et faire une paire d’amies?

La bataille fait rage, le serpent savamment s’enroule et se déroule, dame Mangouste par bonds évite de justesse cette flèche à ressort dont les crocs menaçants lui promettent la mort. Elle s’aplatit ou saute, décrivant de grands cercles dans lesquels le serpent épuise déjà ses forces. La Mangouste sent aussi les forces lui manquer. Alors elle se décide à l’attaque suprême. Comme le toréador, affrontant le taureau pour l’achever d’un coup sûr, dame Mangouste d’un bond, leste, saisit derrière la tête les vertèbres du serpent qu’elle serre entre ses mâchoires, serre, serre plus fort. Elle épuise toute son énergie qu’elle avait ménagée pour la fin du combat; elle serre toujours plus fort, car il lui faut rompre les vertèbres de l’ennemi, c’est là tout son secret. C’est ainsi qu’elle triomphe inévitablement chaque fois qu’elle rencontre un serpent sur sa route.

— Cot, cot, cot! Admirez mes chéris, vous pouvez applaudir dame Mangouste, cot, cot, cot! chante mère Poule.

— Cui, cui, cui, cui, cui, cui! piaillent les poussins gaiement. Merci, dame Mangouste!

Epuisée mais heureuse, la Mangouste contemple sa victoire. Le serpent gît sur le sol où les rayons du soleil font briller ses écailles, à l’endroit même où il souhaitait faire la sieste, digérant des poussins.

Dame Mangouste hésitante, tourne la tête vers la case d’où lui viennent les bravos de mère Poule et de ses petits.

— Frou, frou, frou, m’en veux-tu toujours, mère Poule? Malgré ma victoire j’ai encore des remords depuis que je t’ai vu pleurer les deux poussins noirs que je t’ai dévorés.

— Cot cot cot, cot cot cot! Nous t’avons pardonné, dame Mangouste ; ta bravoure et ton dévouement te rendent fort sympathique. Si de plus, tu promets d’épargner les poussins nous pouvons être amies.

Et, depuis ce jour-là, on pouvait s’étonner de voir Mère Poule et Dame Mangouste, côte à côte, se chauffant au soleil.

— Cot cot cot chantait la mère Poule, à ma prochaine ponte tu auras un bel œuf.

Dame Mangouste ne fit plus parler d’elle, se rappelant toutefois que les hommes l’avaient importée dans l’île pour détruire les serpents».

éléphant

— Merci, Madame! s’écrient les enfants en chœur.

— Merci, maman! Mais il fait encore jour! s’exclame Piécoco. Vois les reflets du soleil qui se couche. Mademoiselle Léa acceptera bien que tu nous dises encore un conte, le plus court par exemple.

— Tenez, pour récompenser Douchérie qui se tait, quoiqu’elle meure d’envie d’en demander un autre, je vous dirai celui que mon père nous réservait toujours pour la fin.

— Nous vous écoutons, Madame Justin, fait complaisamment Léa.

Madame Justin a couché le bébé, elle revient satisfaire ce petit auditoire si privé de distractions dans cette pleine campagne. Et toujours en patois, elle commence:

«Dans les mornes vivait une pauvre femme qui avait quatre filles:

— l’aînée s’appelait «grosse tête»

— la deuxième «gros ventre»

— la troisième «jambe fine»

— la quatrième «Péla»

La mère malade, ne pouvant aller chercher de l’eau, envoya l’aînée à la rivière.

«Grosse tête», qui heurtait son énorme tête à tous les obstacles, ne tarda pas, malgré les recommandations de sa mère, à se blesser contre un arbre. La pauvre femme, inquiète, dépêcha sa deuxième fille.

«Gros ventre», très gourmande, ne pouvait se retenir de manger sans arrêt ce qui lui valait ce ventre volumineux.

Ne la voyant pas, sa mère comprit qu’elle n’avait pu résister à la tentation des mangots du gros manguier de la rivière.

Désespérée, elle expliqua à sa troisième fille qu’il fallait être plus prudente que ses aînées. «Jambe Fine» n’allait pas souvent jusqu’à la rivière, mais aujourd’hui il fallait aider sa mère. Hélas la pauvre «Jambe Fine» ne put jamais remonter le morne avec le seau d’eau, ses petites jambes frêles ne pouvant plus la porter.

— Pauvres filles! faisait Douchérie, mais elles sont peut-être mortes?

— Voilà que je ne me rappelle plus le prénom de la quatrième, dit la mère de Piécoco, qui avait en effet l’air de perdre la mémoire.

Elle savait bien simuler, comme tout bon conteur. Piécoco lui, connaissait le piège; il savait bien que sa mère attendait qu’un enfant lui dise le prénom de la quatrième fille, «Péla», ce mot qui signifie en patois «taisez-vous»; aussi, gardait-il le silence, riant sous cape.

Douchérie et Claude, eux, cherchaient consciencieusement.

— J’y suis! crie gaiement Douchérie: Péla!

— Tu m’as dit «péla», aussi vais-je me taire tout de suite, explique avec regret la mère de Piécoco.

Douchérie, confuse, s’en veut d’avoir parlé trop vite.

Mais elle ne tarda pas à se faire une raison, et tout ce petit monde remercie Madame Justin qui est récompensée de les voir si heureux.