Les noms de la honte
Stigmates de l'esclavage à l'Île maurice

Alain Romaine

Les noms de la honte
Les noms de la honte

Les noms de la honte • Alain Romaine • Édition Marye-Pike • 2006 • ISBN 99903-41-43-5

En enjoignant les colons franciliens de doter leurs esclaves d'un patronyme de leur guise pour le besoin de l'enregistrement, l'administration britannique déclencha une action qui allait marquer la descendance des esclaves du stigmate de la honte. Ces patronymes sont aujourd'hui lourds à porter et font l'objet de dérision. Faut-il les bannir? Alain Romaine tente, par un essai de relecture historique et d'une réflexion anthropologique sur la dotation du nom, d'ouvrir des pistes pour rendre honneur et hommage à ces noms qui ont fondé l'Ile Maurice de leur sueur et de leur sang. Pour qu'une souillure infligée devienne source de fierté nationale.

Sommaire

LA STIGMATISATION SOCIALE

Introduction

En préambule

Relevé des noms

Répertoire des noms de la honte

Quelques observations psychosociologiques

L'histoire romancée
Coupé dans son élan
Rabaissé dès l'enfance
Cloués au pilori des médias
La stigmatisation sociale

RELECTURE HISTORIQUE

T'Eylant Mauritius : la période hollandaise

Ile de France : l'occupation française

Le Code Noir
Code Noir et Catholicisme
Mahé de la Bourdonnais, père fondateur
Les vents révolutionnaires
Decaen

L'administration britannique

Capitulation préjudiciable aux esclaves
Le sucre au goût amer
La guerre des éléphants
Robert Townsend Farquhar
Les frères d'Epinay

Le registre des esclaves

Douze années de recensement
Les registres de la honte
Tentative de raccommodage
Les 'prize-negroes'

RESTAURER LA MÉMOIRE

Le nom

Nommer, c'est identifier
Nommer, c'est classer
Nommer, c'est signifier

Que ton nom soit sanctifié

Assumer son nom – 'es' pour esclave

Un Mémorial des noms

Conclusion: 'Ancestors'

Introduction

Bonarien, Lapuante, Cabri... Déclamés en public dans une salle d'attente de l'hôpital, ces noms de famille risibles pour certains, sont cruels pour ceux qui les portent. Ils sont les cicatrices encore ouvertes de la douloureuse histoire des Créoles à l'Ile Maurice. Ils participent à la stigmatisation sociale des descendants d'esclaves.

Pour avoir été témoin d'une tragédie personnelle du fait de porter un nom de la honte, je me suis donné la mission de mener une étude sur l'origine des dotations honteuses de ces noms et ses effets séculaires sur l'identité des Créoles. Mon but est de fournir quelques données historiques et anthropologiques pour permettre aux Mauriciens d'assumer dans la dignité cette écharde nationale.

Ma réflexion se présente en trois parties inégales. Dans un premier temps nous procéderons à un relevé de ces patronymes en cours à partir d'une source documentaire publique et nous ferons quelques observations d'ordre psychosociologique. En second lieu, nous ferons une relecture historique pour explorer l'origine et le contexte funeste de l'attribution des noms de la honte. Enfin, après avoir donné quelques indications anthropologiques sur la portée du nom, nous proposerons une piste d 'action pour laver cette honte.

En préambule

Nous avons qualifié ces patronymes cruels de NOMS DE LA HONTE à cause du sentiment pénible et frustrant d'être en permanence associé à vil attribut. L'onomastique1, la science de l'origine et de l'expansion des noms des personnes dans l'espace-temps, nous apprend que des noms honteux dans la civilisation occidentale est un phénomène - quoique très marginal - que l 'on retrouve partout. La plupart du temps, les patronymes prennent un caractère pesant suivant l'évolution sémantique d'un mot dans un contexte sociolinguistique donné – ex. le nom 'Gay' en France se porte autrement aujourd'hui.

Mais l'abjection des noms de la honte provient de l'histoire de l'esclavage au temps des colonies dans le sillage de la découverte du Nouveau Monde. Les îles Mascareignes, des Caraïbes et la Guyane des aires francophones ont été le théâtre de ces dotations de noms teintés du mépris raciste du maître blanc à l'égard de l'esclave noir. L'immonde Code Noir (1685 -1848), établi du temps des Lumières (sic), fut l 'assise idéologique et juridique (L.Sala-Molins -1987) qui associait le nègre au bien meuble, propriété du maître blanc. C'est à ce titre que ce dernier s'est permis de nommer son semblable comme une chose qu'il disposait à son gré.

La littérature créole contemporaine antillaise, avec sa verve insolente jaillie de la nuit2, ironise sur cette attribution dégradante héritée de l'esclavage où l'on nommait les noirs dans les plantations comme on nomme des chiens. Les conditions de dotations des patronymes pour l'inscription civile à l'abolition de l'esclavage restent marquées par cette volonté farouche chez les blancs de maintenir la discrimination raciale par la distinction nominale. Mais le cas de l'Ile Maurice dans les Mascareignes est unique. Ces noms proviennent, non seulement du mépris de la mentalité esclavagiste l'égard des noirs, mais d'un bras de fer sans merci entre les colons français et l'administration britannique (1810-1835) sur l'issue économique que représentait la main-d’œuvre servile dans l'exploitation de la canne à sucre. Cette lutte s'est déroulée sur fond d'un régime juridique exceptionnel découlant des termes de l'acte de Capitulation (3 décembre 1810) qui stipulait que les colons pouvaient conserver leurs propriétés, religion, lois et coutumes (Pitot - 1899). Nous verrons plus loin le contexte d'attribution des noms de famille sur les registres officiels séparés imposés aux colons par l'administration britannique.

Aujourd'hui, de nombreuses familles créoles, descendants d'esclaves, portent ces patronymes ignominieux attribués à leurs ancêtres sans que ces derniers aient pu s'en affranchir au lendemain de l'abolition de l'esclavage. Plus qu'une séquelle, ces noms humiliants, transmis de génération en génération, s'avèrent être un frein, un boulet, au développement personnel et communautaire des Créoles, catégorie ethno-sociale des plus défavorisées à Maurice3 et aujourd'hui quasi-absente des cercles du pouvoir économique el politique. Ce boulet est d'autant plus lourd quand il relève du sentiment honteux que la victime de l'Histoire éprouve à l'appel de son nom. Au fond, la honte aurait dû reposer sur le bourreau, d'où la nécessité d'une relecture pour un travail de mémoire restaurant l'Histoire. Cette tentative s'inscrit dans l'effort, ces dernières décen n ies, de mettre à jour la `non-histoire', sans tomber dans les pièges du discours victimaire, pour donner la parole aux oubliés de la terre.

  1. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/ono.html.
  2. P. CHAMOISEAU, R. CONFIANT, RENÉ DEPESTRE, E. GLISSANT, B. JUMINER, E. PÉPIN, G. PINEAU, H. POULLET ET S. TELCHID. Ecrire la 'parole de nuit', la nouvelle littérature antillaise. Gallimard, Paris, 1994.
  3. Etude pluridisciplinaire sur l'exclusion à Maurice, Présidence de la République, 1997.
Liste des Esclaves

Alain Romaine est l'auteur de 'Religion populaire et pastorale créole à l'île Maurice, Karthala, Paris, 2003. II a publié des articles à l'occasion du 1er février, date commémorative de l'abolition de l'esclavage à l'île Maurice: 2004 - 1er février, devoir de mémoire, devoir de réparation; 2005 - L'avenir professionnel des Créoles, descendants d'esclaves, à l'île Maurice.

 
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